Quarante-deux, oui. Car au contraire des écritures arabes, géorgiennes ou hébraïques, l’alphabet latin est bicaméral ; il a deux « chambres ». Son Assemblée nationale se compose de minuscules, son Sénat de capitales. Vingt-six membres dans chaque chambre, ce qui fait cinquante-deux. Mais il convient de retirer certaines lettres (Cc Kk Oo Pp Ss Vv Ww Xx Zz) dont les formes capitales et minuscules sont très proches.
Ce qui donne quarante-deux formes différentes à mémoriser pour qui veut lire en français. Soit bien plus que les « vingt-six lettres de l’alphabet ».
Pour l’apprenti lecteur, il n’y a rien d’évident à ce que la forme a soit lue pareil que A, ou g que G. B perd sa boucle supérieure en minuscule, D regarde dans la direction inverse, etc. L’écriture latine n’est pas un cas isolé ; dans l’alphabet cyrillique, les g et t (г т) prennent des formes plutôt surprenantes en italique (г т)…
Dans le caractère Sofia de Ladislas Mandel (1967, coll. Mandel), le T minuscule a une forme de m, alors que la fonte n’est pas italique. C’est une caractéristique (parmi d’autres) de la variante bulgare de l’écriture cyrillique. (Dans le style russe, les bas de casse sont, pour une large part, une forme réduite des capitales.)
La double chambre de l’écriture latine ne dispose pas d’huissiers à gants blancs. Toutefois, ces formes vénérables (2000 ans pour l’une, plus de 1000 pour l’autre) exigent une certaine précision terminologique.
Tout d’abord, une capitale n’est pas une majuscule. (Mais une majuscule est une capitale…)
Le mot majuscule désigne la première lettre d’un mot qui est écrite ou composé en capitales, le reste du mot ne l’étant a priori pas. CETTE PHRASE EST FAITE DE CAPITALES. Celle-Ci Est Pleine De Majuscules. Dans ce MOT de trois lettres, toutes sont des capitales, mais seul l’M initial est, en outre, majuscule.
Chers formulaires de tout genre, merci donc de ne plus nous demander d’écrire tout en majuscules.
Avec quelques vagues notions de latin, l’étymologie est aisément traçable pour majuscule (majusculus, « un peu plus grand »), minuscule (« un peu plus petit ») et capitales (caput, « la tête, ce qui est éminent »).
Le terme bas-de-casse, quant à lui, vient de la casse, tiroir divisé en cassetins dans lesquels on range les caractères typographiques en plomb. Plusieurs modèles de rangement existent, mais tous ont un commun de disposer les lettres les plus fréquemment utilisées en bas, proche de la main du compositeur, qui économise ainsi ses mouvements. Les minuscules sont donc rangées en bas-de-casse.
Plan de casse
Ne serait-il pas logique que les capitales soient baptisées haut-de-casse ? Ça n’est pas dans les usages typographiques français, bien que certains essaient de l’imposer, probablement sous l’influence de l’anglais (upper case / lower case). En vain.
Mais qui sait, peut-être cela viendra. C’est dans l’air du temps : une région dont l’altitude moyenne est de 98 m (mazette !) a bien été rebaptisée Hauts-de-France suite à une consultation de lycéens de ladite région. (Parmi leurs propositions, « Terres-du-Nord » avait un côté autrement plus grandiose, digne de Games of Thrones…)
Si l’upper case ne s’est pas encore imposée, le vocabulaire typographique anglophone nous fournit telle quelle la CamelCase (« casse chameau »), sans traduction française valable à ce jour (« wiki mot », sérieusement ?). Ce sont ces capitales qui apparaissent à l’intérieur de mots en bas-de-casse, comme chez les Écossais MacDonald, MacKenzie, MacCain ou MacIntosh, et plus encore dans les dénominations commerciales comme eBay, iPhone, MasterCard ou FedEx. (On pourrait aussi dire que cette une espace qui manque.)
Bref : ceux qui considèrent qu’il s’agit d’une aberration peuvent se consoler en célébrant, tous les 28 juin et 22 octobre l’INTERNATIONAL CAPS LOCK DAY, le jour où vous pouvez bloquer la touche de « verrouillage des majuscules » (des capitales, dans le cas présent) sans vous faire reprocher de « crier » sur le web et les réseaux sociaux.
VIEILLES DE MM ANS, LES CAPITALES TROUVENT ENCORE DE NOUVEAUX USAGES.
Mais d’où vient cette pérennité ? Une réponse dans le prochain épisode