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Épisode 18 : ne soyez pas de « mabre » et restez donc sous « l’abre »

Alors que le peuple s’alphabétise, l’élite veut montrer se supériorité, sa distinction. Une patinoire à vilains commode est celle des lettres qui ne se prononcent pas dans l’usage de la Cour et des gens instruits. L’orthographe est dès lors un privilège de classe. (Elle l’est restée chez certains journalistes du Figaro.) Dès le XVIIe siècle sont publiés des manuels de prononciation, basés comme il se doit sur « les meilleurs usages » du grand monde.

Le Savoyard Claude Favre de Vaugelas, connu comme le « greffier de l’usage », publie en 1647 ses Remarques sur la langue française, utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire. On peut y constater que ce qui était élégant il y trois siècles serait aujourd’hui corrigé par tout pédagogue pointilleux sur la prononciation ; et inversement. À la Cour, il et plus se prononçaient sans l : « i n’y en a pu » était la forme élégante jusque vers 1630 environ. Il faut également prononcer mecredi, abre et mabre, « malgré l’écriture » d’un r perçu comme inutile.

De même pour l’hirondelle qui peut certes se prononcer irondelle ou arondelle, mais que le locuteur averti nommera erondelle. Comme souvent avec les Académiciens – Favre de Vaugelas est le premier immortel sur le fauteuil no 32 de l’Académie française – il y a bien sûr des exceptions dont on ne saurait se passer. Ainsi, la lettre d doit se prononcer dans admettre, administrer ou adversaire, mais pas dans adjouter, adjuster, adjuger et advenir. Pour ces deux derniers exemples, l’écrit l’a emporté sur l’oral.

De tels ouvrages provoquent réactions et discussions. François de La Mothe Le Vayer, publie en 1647 des Lettres sur les Remarques. Pour lui, Vaugelas n’est qu’un pédant, un petit esprit qui s’intéresse davantage aux syllabes qu’aux contenus, aux mots qu’aux choses. Or « il n’y a rien de plus ennemy des productions ingénieuses que ces soins trop exquis du langage ».