Épisode 17 : Et l’on inventa le métier de graveurs de poinçons
Claude Garamont (1499-1561) et Robert Granjon (1513-1589) sont parmi les premiers graveurs de poinçons indépendants. Durant les premiers temps de la typographie, les imprimeurs fabriquaient eux-mêmes leurs caractères, ou s’achetaient des matrices les uns aux autres.
Au XVIe siècle, des graveurs professionnels commencent à exercer pour leur compte, sans attaches particulières à un imprimeur. On voit aussi apparaître les tous premiers spécimens de caractères, des planches destinées à montrer au client le catalogue de lettres disponibles chez un fondeur ou chez un imprimeur. Le plus ancien spécimen connu sous ce nom date de 1567, et sort de l’imprimerie de Christophe Plantin. Dans deux ouvrages de la vitrine « Lyon », la Bible d’Honorat [inv 644] et le Livre de Job [inv 1059], on peut voir des séries de chiffres qui, à y regarder de plus près, n’ont pas tous la même hauteur. Certains montent (à la manière des b h k l) ; d’autres descendent (comme g p q). Il s’agit de « chiffres minuscules », aussi appelés « chiffres elzéviriens en hommage à la célèbre famille néerlandaise d’éditeurs et imprimeurs (qui utilisaient de tels chiffres… comme tout le monde).
Ces chiffres ont la particularité d’avoir une chasse variable, terme technique indiquant que chaque signe occupe une largeur différente. On imagine bien,
en effet, que la forme ronde du « zéro » (0) occupe plus de place en largeur que celle du « un » (1). Le problème avec de tels chiffres est que, une fois composés en tableaux, ils ne s’alignent pas et créent des décalages dans les colonnes.
[C’est bien visible dans la table des matières du Livre de Job].
Les chiffres elzéviriens sont considérés plus lisibles dans les textes suivis, car il ne « cassent » pas la régularité de la ligne par une silhouette rectangulaire et massive, comme le font les « chiffres capitales ». Ces derniers se sont cependant imposés, tout d’abord sur les machines à écrire (où tous les signes occupent la même largeur), puis pour l’usage comptable de nombreux utilisateurs d’ordinateurs (pour un comptable, il faut absolument que les chiffres soient alignés, sous peine d’erreurs de lecture dommageables à la bonne tenue des comptes) [planche 33].
Les chiffres alignés sont activés par défaut dans toutes les polices de caractères livrés avec nos ordinateurs contemporains, à l’exception de la fonte Georgia (Matthew Carter, 1993) qui présente des chiffres elzéviriens (forme ancienne) à chasse constante (ils peuvent être alignés). Voici une série de chiffre alignés (en Times New Roman) : 0123456789. Et voici une série de chiffres elzéviriens (en Georgia) : 0123456789.