Accoucher, déféquer
Les conditions de la naissance de Gargantua en
disent long : après l'absorption d'une grande quantité de
tripes par Gargamelle, à l'approche du Carême
(qui marque par ailleurs la fin du carnaval), son ventre
se trouve boursouflé par la matière fécale,
ce qui trompe les sages-femmes. Il y a alors confusion
entre le souffle intérieur résultant de la
digestion, et l'enfant à naître. Prenant la
matière fécale pour Gargantua, les sages-femmes
administrent un astringent à la mère, et
l'enfant naît par l'oreille. Ce trajet anatomique
touche le tabou de la naissance anale. Or, le tube digestif
qu'est Cloaca comporte
fondamentalement une dimension de production et presque
d'enfantement ; il ne s'agit pas
de simple excrément, mais d'un " accouchement " résultant
d'un long et laborieux travail de conception en amont,
et ritualisé, en aval, par le processus d'exposition
au public. Si le contrôle des souffles digestifs
est symboliquement un contrôle de la fécondation,
quoi de mieux qu'une machine qui digère et défèque à la
demande ? Si on admet que Cloaca et
la Rose
des vents manifestent
un rapport carnavalesque à l'alimentation, on ne
peut occulter cette question de la naissance anale. Il
y a en outre une dimension religieuse du parcours et du
contrôle des souffles, autour du thème de
la naissance : la fécondation de la Vierge se fait
par l'oreille et par la voix de l'ange Gabriel — suivant
un mouvement descendant de l'esprit à la matrice,
via l'oreille. Chez Rabelais,
le trajet se trouve inversé :
le souffle devient ascendant. Sans aller jusqu’à comparer
directement Cloaca à Gargamelle ou à Marie,
on peut comprendre la machine de Wim Delvoye comme une
reprise du thème de la circulation des souffles
et de celui, tabou, de la naissance anale.
L’anus et le phallus
La fécondation n'est-elle pas elle aussi, une affaire
de souffle ? Le phallus chez les philosophes et médecins
de l'antiquité est décrit comme une pompe à âmes.
Georges Bataille dans Anus solaire montre
que le coït
constitue avec la rotation terrestre un mouvement primitif
et premier : la rotation de la terre et le va-et-vient du
phallus engendrent mutuellement leur mouvement: "Le
grand coït avec l'atmosphère céleste est
régulé par la rotation de la terre autour du
soleil". Derrière cette image se révèle
l'idée d'un rythme vital, d'un mouvement régulier
et fertile donnant lieu à la vie même. L'âme
aérienne du monde se confond avec le souffle vital
de chaque être, comme le mouvement terrestre se confond
avec celui du coït.