Les oeuvres de Wim Delvoye,
par l'émulsion qu'elles
opèrent
entre art, artisanat et science, font écho à des
définitions de l'art propres à des époques
très éloignées de la nôtre. La distinction
entre l'univers de la science et celui de l'art n'a pas toujours été aussi
nette
Dans la Grèce antique, art et artisanat sont synonymes,
et la notion de technè éclaire le rapport de proximité entre
l'art et la science. A l'origine, la technè ne se limite
pas au simple artisanat; elle a une dimension spirituelle et
symbolique. Aristote écrit dans l'Esthétique que " la
nature de toute technè est de rendre compte de la genèse
d'une oeuvre, d'en rechercher la technique et la théorie,
d'en trouver le principe dans la personne qui l'a fait naître,
et non dans l'oeuvre elle-même ".
N'est ce pas là ce qui définit en partie Cloaca
? Elle est elle-même genèse, puisqu'elle produit
des oeuvres; elle est évidemment le fruit et l'objet d'une
recherche technique, et d'une théorie de cette genèse,
puisqu'il a fallu la concevoir (conception qui est d'ailleurs
l'unique rôle de l'artiste en l'occurrence), et son principe
est, de ce fait, davantage dans la personne qui l'a fait naître,
que dans l'oeuvre elle-même. Wim Delvoye est donc proche
de la technè grecque, à ceci près qu'il
la complexifie par un jeu d'emboîtement entre les différentes échelles
et les divers stades de la production : l'artiste est principe
de l'oeuvre, les ingénieurs et techniciens qui l'ont fabriquée
en constituent un autre, et enfin l'oeuvre elle-même est
principe de ses productions. On peut parler d'une démultiplication
de la technè antique ; l'oeuvre de Wim Delvoye rappelle
donc singulièrement cette synthèse d'art, d'artisanat
et de science, que la notion de technè établit
de façon sous-jacente.