L'anus solaire
Il est clair que le monde est purement
parodique, c'est-à-dire que chaque chose qu'on regarde est
la parodie d'une autre, ou encore la même chose sous une
forme décevante.
Depuis que les phrases circulent dans les cerveaux occupés à réfléchir,
il a été procédé à une identification
totale, puisque à l'aide d'un copule chaque phrase relie une
chose à l'autre; et tout serait visiblement lié si l'on
découvrait d'un seul regard dans sa totalité le tracé laissé par
un fil d'Ariane, conduisant la pensée dans son propre labyrinthe.
Mais le copule des termes n'est pas moins irritant que celui
des corps. Et quand je m'écrie : JE SUIS LE SOLEIL, il en résulte
une érection intégrale, car le verbe être est le
véhicule de la frénésie amoureuse.
Tout le monde a conscience que la
vie est parodique et qu'il manque une interprétation.
Ainsi le plomb est la parodie de l'or.
L'air est la parodie de l'eau.
Le cerveau est la parodie de l'équateur.
Le coït est la parodie du crime.
L'or, l'eau, l'équateur ou
le crime peuvent indifféremment être énoncés
comme le principe des choses.
Et si l'origine n'est pas semblable au sol de la planète paraissant être
la base, mais au mouvement circulaire que la planète décrit
autour d'un centre mobile, une voiture, une horloge ou une machine à coudre
peuvent également être acceptées en tant que principe
générateur.
Les deux principaux mouvements sont
le mouvement rotatif et le mouvement sexuel, dont la combinaison
s'exprime par une locomotive composée de roues et de pistons.
Ces deux mouvements se transforment l'un en l'autre réciproquement.
C'est ainsi qu'on s'aperçoit que la terre en tournant fait coïter
les animaux et les hommes et (comme ce qui résulte est aussi
bien la cause que ce qui provoque) que les animaux et les hommes font
tourner la terre en coïtant.
C'est la combinaison ou transformation mécanique de ces mouvements
que les alchimistes recherchaient sous le nom de pierre philosophale.
C'est par l'usage de cette combinaison de valeur magique que la situation
actuelle de l'homme est déterminée au milieu des éléments.
Un soulier abandonné, une
dent gâtée, un nez trop court, le cuisinier crachant
dans la nourriture de ses maîtres sont à l'amour ce
que le pavillon est à la nationalité.
Un parapluie, une sexagénaire, un séminariste, l'odeur
des oeufs pourris, les yeux crevés des juges sont les racines
par lesquelles l'amour se nourrit.
Un chien dévorant l'estomac d'une oie, une femme ivre qui vomit,
un comptable qui sanglote, un pot à moutarde représentent
la confusion qui sert à l'amour de véhicule.
Un homme placé au milieu
des autres est irrité de savoir pourquoi il n'est pas l'un
des autres.
Couché dans un lit auprès d'une fille qu'il aime, il
oublie qu'il ne sait pas pourquoi il est lui au lieu d'être le
corps qu'il touche.
Sans rien en savoir, il souffre à cause de l'obscurité de
l'intelligence qui l'empêche de crier qu'il est lui même
la fille qui oublie sa présence en s'agitant dans ses bras.
Ou l'amour, ou la colère
infantile, ou la vanité d'une douairière de province,
ou la pornographie cléricale, ou le solitaire d'une cantatrice égarent
des personnages oubliés dans des appartements poussiéreux.
Ils auront beau se chercher avidement les uns les autres : ils ne trouveront
jamais que des images parodiques et s'endormiront aussi vides que des
miroirs.
La fille absente et inerte qui
est suspendue à mes bras sans rêver n'est pas plus étrangère à moi
que la porte ou la fenêtre à travers lesquel[le]s
je peux regarder ou passer.
Je retrouve l'indifférence (qui lui permet de me quitter) quand
je m'endors par incapacité d'aimer ce qui arrive.
Il lui est impossible de savoir qui elle retrouve quand je l'étreins
parce qu'elle réalise obstinément un oubli entier.
Les systèmes planétaires qui tournent dans l'espace comme
des disques rapides et dont le centre se déplace également
en décrivant un cercle infiniment plus grand ne s'éloignent
continuellement de leur propre position que pour revenir vers elle
en achevant leur rotation.
Le mouvement est la figure de l'amour incapable de s'arrêter
sur un être en particulier et passant rapidement de l'un à l'autre.
Mais l'oubli qui le conditionne ainsi n'est qu'un subterfuge de la
mémoire.
Un homme s'élève aussi
brusquement qu'un spectre sur un cercueil et s'affaisse de la même
façon.
Il se relève quelques heures après puis il s'affaisse
de nouveau et ainsi de suite chaque jour : ce grand coït avec
l'atmosphère céleste est réglé par la rotation
terrestre en face du soleil.
Ainsi, bien que le mouvement de la vie terrestre soit rythmé par
cette rotation, l'image de ce mouvement n'est pas la terre tournante
mais la verge pénétrant la femelle et en sortant presque
entièrement pour y rentrer.
L'amour et la vie ne paraissent
individuels sur la terre que parce que tout y est rompu par des
vibrations d'amplitude et de durée diverses.
Toutefois, il n'y a pas de vibrations qui ne soient pas conjuguées
avec un mouvement continu circulaire, de mime que sur la locomotive
qui roule à la surface de la terre, image de la métamorphose
continuelle.
Les êtres ne trépassent
que pour naître à la manière des phallus qui
sortent des corps pour y entrer.
Les plantes s'élèvent
dans la direction du soleil et s'affaissent ensuite dans la direction
du sol.
Les arbres hérissent le sol terrestre d'une quantité innombrable
de verges fleuries dressées vers le soleil.
Les arbres qui s'élancent avec force finissent brûlés
par la foudre ou abattus, ou déracinés. Revenus au sol,
ils se relèvent identiquement avec une autre forme.
Mais leur coït polymorphe est fonction de la rotation terrestre
uniforme.
L'image la plus simple de la vie
organique unie à la rotation est la marée.
Du mouvement de la mer, coït
uniforme de la terre avec la lune, procède le coït
polymorphe et organique de la terre et du soleil.
Mais la première forme de l'amour solaire est un nuage qui s'élève
au dessus de l'élément liquide.
Le nuage érotique devient parfois orage et retombe vers la terre
sous forme de pluie pendant que la foudre défonce les couches
de l'atmosphère.
La pluie se redresse aussitôt sous forme de plante immobile.
La vie animale est entièrement
issue du mouvement des mers et, à l'intérieur des
corps, la vie continue à sortir de l'eau salée.
La mer a joué ainsi le rôle de l'organe femelle qui devient
liquide sous l'excitation de la verge.
La mer se branle continuellement,
Les éléments solides contenus et brassés par l'eau
animée d'un mouvement érotique en jaillissent sous forme
de poissons volants.
L'érection et le soleil scandalisent
de même que le cadavre et l'obscurité des caves.
Les végétaux se dirigent uniformément vers le
soleil et, au contraire, les êtres humains, bien qu'ils soient
phalloïdes, comme les arbres, en opposition avec les autres animaux,
en détournent nécessairement les yeux.
Les yeux humains ne supportent ni le soleil, ni le coït, ni le
cadavre, ni l'obscurité, mais avec des réactions différentes..
Quand j'ai le visage injecté de
sang, il devient rouge et obscène.
Il trahit en même temps, par des réflexes morbides, l'érection
sanglante et une soif exigeante d'impudeur et de débauche criminelle.
Ainsi je ne crains pas d'affirmer que mon visage est un scandale et
que mes passions ne sont exprimées que par le JÉSUVE.
Le globe terrestre est couvert de volcans qui lui servent d'anus.
Bien que ce globe ne mange rien,
il rejette parfois au dehors le contenu de ses entrailles.
Ce contenu jaillit avec fracas et retombe en ruisselant sur les pentes
du Jésuve, répandant partout la mort et la terreur.
En effet, les mouvements érotiques
du sol ne sont pas féconds comme ceux des eaux mais beaucoup
plus rapides.
La terre se branle parfois avec frénésie et tout s'écroule à sa
surface.
Le Jésuve est ainsi l'image
du mouvement érotique donnant par effraction aux idées
contenues dans l'esprit la force d'une éruption scandaleuse.
Ceux en qui s'accumule la force
d'éruption sont nécessairement situés en bas.
Les ouvriers communistes apparaissent aux bourgeois aussi laids et
aussi sales que les parties sexuelles et velues ou parties basses :
tôt ou tard il en résultera une éruption scandaleuse
au cours de laquelle les têtes asexuées et nobles des
bourgeois seront tranchées.
Désastres, les révolutions
et les volcans ne font pas l'amour avec les astres.
Les déflagrations érotiques révolutionnaires et
volcaniques sont en antagonisme avec 1e ciel.
De même que les amours violents, ils se produisent en rupture
de ban avec la fécondité.
A la fécondité céleste s'opposent les désastres
terrestres, image de l'amour terrestre sans condition, érection
sans issue et sans règle, scandale et terreur.
C'est ainsi que l'amour s'écrie
dans ma propre gorge : je suis le Jésuve, immonde
parodie du soleil torride et aveuglant.
Je désire être égorgé en violant la fille à qui
j'aurai pu dire : tu es la nuit.
Le Soleil aime exclusivement la Nuit et dirige vers la terre sa violence
lumineuse, verge ignoble, mais il se trouve dans l'incapacité d'atteindre
le regard au la nuit bien que les étendues terrestres nocturnes
se dirigent continuellement vers l'immondice du rayon solaire.
L'anneau solaire est
l'anus intact de son corps à dix-huit ans auquel rien
d'aussi aveuglant ne peut être comparé à l'exception
du soleil, bien que l'anus soit la nuit.