"J'ai pétri de la boue et j'en
ai fait de l'or".
Charles Baudelaire
Le lien étroit entre l'or et l'excrément, présent
chez Wim Delvoye lorsqu'on considère le prix des produits
de Cloaca, fait lui
aussi partie de l'imaginaire carnavalesque. La figure du chieur
d'écus en
est l'illustration. Dans cette perspective, Claude Gaignebet établit un
parallèle entre excrément et sacrement : "les
théologiens tonnent contre le diable des sabbats qui
fait des leurs excréments des sacrements. L'image
des écus-hosties y est pour quelque chose, et Jérôme
Bosch s'en souvient, qui nous montre les damnés sous
la chaise percée du diable tendant avidement la langue
vers ces hosties d'or ".
Psychanalyse
La référence incontournable ici est bien sûr
Freud, qui mentionne
explicitement le fameux "chieur
de ducats" comme une figure emblématique de notre
rapport à l'excrément et de ce qu'il révèle.
Curieusement, la psychanalyse nous apporte ici un éclairage
plus anthropologique que psychanalytique stricto sensu ;
Freud fait la remarque suivante sur ce que dissimule une économie
excessive : limiter l'analyse du lien or-excrément
au fait de "retenir son argent avec une anxiété excessive
(...) serait une estimation par trop superficielle. En vérité,
partout où a régné ou bien persiste
le mode de pensée archaïque, dans les civilisations
anciennes, dans le mythe, les contes, les superstitions,
dans la pensée inconsciente, dans le rêve et
dans la névrose, l'argent est mis en relation intime
avec l'excrément.
Il est bien connu que l'or dont le diable fait cadeau à ses
amants se change en excrément après son départ,
et il est certain que le diable n'est rien d'autre que la
personnification de la vie pulsionnelle inconsciente refoulée." On
pensera également à l'association superstitieuse
de la défécation à la découverte
de trésors. Freud ajoute cette remarque : "Il
est possible que l'opposition entre ce à quoi l'homme
a appris à accorder le plus de valeur et ce qui est
le plus dénué de valeur, et qu'il rejette comme
déchet, ait conditionné cette identification
de l'or et de l'excrément."
Alchimie
On est ainsi en présence d'un phénomène
d'assimilation du noble à l'ignoble, de l'objet sans
valeur à celui qui incarne cette valeur même,
qui trouve des échos dans divers domaines de notre
existence. Dans la perspective freudienne, l'union de ces
deux extrêmes fait partie des lois de notre vie psychique.
Cloaca, qui transforme
littéralement la merde en or,
puise ce faisant aux sources les plus primitives de notre
culture, et peut-être de notre humanité : nos
représentations inconscientes.