Wim Delvoye fait revivre, à travers
une technique et une esthétique extrêmement modernes,
une culture et une mythologie populaires issues du Moyen âge
; ses oeuvres évoquent la co-existence de deux mondes
qui, malgré d’énormes différences
formelles, ne peuvent se séparer. C’est
cette fusion qui nous est donnée à voir, en
particulier dans
Cloaca :
l‘univers aseptisé du laboratoire avec
ses tubes et ses bocaux transparents abrite du manger et de la
merde, et ça sent, et ça pue, et ça pète.
On trouve, réintroduits à l’intérieur
même du monde moderne - dont la symbolisation est poussée à son
paroxysme dans l’exemple du laboratoire — les ingrédients
d’une culture populaire carnavalesque, dont la présence
est particulièrement significative, si on les réfère à leur
cadre d'origine ; le point de vue implicite de l’artiste,
qui constitue pour une part son originalité dans la création
contemporaine, consiste à ne pas considérer cet
univers comme une antiquité, mais comme l’expression
d’une essence constituante de l’homme. En effet,
les oeuvres de Wim Delvoye ne visent pas à choquer à tout
prix, mais plutôt à repenser le monde par le biais
d’éléments originaires, enfouis dans notre
culture commune, et qui pourtant autrefois s’exposaient
dans le lieu public sans la moindre gène, dans le cadre
des rituels carnavalesques.
Il ne s’agit donc pas de prétendre que Wim Delvoye
reproduit une imagerie ancienne, mais que son oeuvre actualise
une certaine conception du monde présente notamment dans
le Gargantua de Rabelais,
ou encore dans les peintures de Jérôme
Bosch et de Peter
Bruegel l'ancien,
et plus largement dans l’univers
carnavalesque. Dès lors, comprendre cette conception du
monde permet de saisir l’oeuvre de Wim Delvoye en ce qu’elle
a de radicalement populaire, dans son refus de tout dogmatisme,
de toute autorité et de tout achèvement définitif
et unilatéral.
Un détour par certaines pratiques et représentations
traditionnelles du folklore européen permet donc d'éclairer,
sinon le sens de certaines œuvres de Wim Delvoye, du moins
ce que nous y percevons, consciemment ou non, et en quoi elles
intéressent au sens fort le spectateur. Comprendre leur
pouvoir de fascination, c'est comprendre ce que Wim Delvoye nous
montre par elles de notre rapport au monde, à travers
par exemple les figures de l'aliment et de l'anus, celles de
la défécation et de son corollaire symbolique,
l'enfantement.