___Montesquieu - Avantes :
grotte des trois frères, 15 000 ans
___Paris,
Roman d'Alexandre, manuscrit, XIVe siècle
___Wim Delvoye - Trophy, 1999
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"Manimal" ou
l'hybridité |
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Homme-cerf, homme-porc,
homme-oiseau constituent à la
fois des figures emblématiques d'une certaine mythologie
populaire, et des motifs employés par Wim Delvoye dans
ses oeuvres : cochons tatoués, niche à oiseaux,
cervidés accouplés. De nombreux mythes populaires
occidentaux font état de cette hybridité. Satyres,
Centaures et autres créatures mi-homme mi-animal, apparaissent
avec une remarquable constance dans les récits antiques
et médiévaux. Le mythe irlandais intitulé " les
métamorphoses de Tuan Mac Cairill " fait par exemple
clairement état de cette thématique, et relate
la succession de métamorphoses d'un homme en cerf, sanglier
et oiseau - animaux qui sont précisément ceux qu'utilise
Wim Delvoye dans ses oeuvres. On songera encore à Mélusine,
la femme fée, mi-poisson mi-humaine. La figure particulière
de l'homme-cerf présente une étonnante persistance
historique : la grotte des trois frères (-&5000 ans) à Montesquieu-Avantes
représente un personnage constitué d'un être
humain figuré en peinture et d'un cervidé aux grandes
ramures gravé dans la roche ; le roman d'Alexandre (16ème
siècle) représente Alexandre interrogeant des hommes-cerfs,
en quête de la source de l’immortalité. Dans
les légendes celtiques,
on raconte que Saint Patrick se transformait en cerf pour échapper au roi Loegarain. Les
mythes chrétiens ne font pas exception sur ce point : Saint Hubert, patron
des chasseurs, rencontre un jour dans les bois un cerf portant
dans ses bois un crucifix ; l'animal, doué de
parole, lui reproche sa passion de la chasse. Le cerf crucifère
fait partie des attributs iconographiques du saint.
De même, la figure de l'homme-porc est une constante :
le déguisement en porc fait partie des pratiques carnavalesques,
ainsi qu'une très ancienne fête du porc consistant
en son sacrifice opéré de maison en maison à date
fixe. Enfin, l'homme-oiseau est, lui aussi, un hybride traditionnel
du folklore européen et notamment du carnaval. L'oiseau
est par ailleurs un symbole phallique récurrent (- le "petit
oiseau" désigne parfois le zizi dans le vocabulaire
enfantin), et un symbole de la virginité perdue. Dans
les représentations folkloriques ou mythologiques, l'attention
se porte souvent plus particulièrement sur "l'esplumoir",
nid de la mue du prophète-oiseau dans la légende
de Merlin (Vita Merlini). La métamorphose
en oiseau est donc associée à la retraite et à la
méditation.
Or, ce n'est pas directement l'oiseau lui-même qui fait
l'objet du travail artistique de Wim Delvoye, mais son lieu d'habitation
et de repos...
Comment interpréter ces mythes, dont la convergence avec
les oeuvres de Wim Delvoye mettant en scène des animaux
est patente ? L'hybridité, omniprésente dans toute
cette mythologie comme dans l'oeuvre de Wim Delvoye, mérite
attention. Le sujet n'est ni tout à fait homme, ni tout à fait
animal au cours de ses métamorphoses ; comment ne pas
penser aux cochons de
Wim Delvoye, qui par le tatouage acquièrent
quelque chose d'humain ? Aux cerfs qui
s'accouplent dans une position spécifiquement humaine
? A l'oiseau qui, entrant dans son nichoir,
entre aussi dans un vagin orné de l'attirail
sado-masochiste ? Ces êtres hybrides, inclassables, marquent
un pont symbolique entre nature et culture.
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