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Mise en bouche  
LE PARADIGME DE LA DIGESTION
Hybridation  
Wim Delvoye est-il un cynique?  
Contrôle des souffles corporels et analité  
Eloge du quotidien  
Art, artisanat, science  
  Le carnaval ou la grande bouffe
  Digérer: un certain rapport au monde
  Cloaca, image du monde en devenir
  "Le monde à l'envers"
  Une visée totalisante

























___Wim Delvoye - Birdhouse 6


 
  Une visée totalisante
 

Cocagne
La représentation du corps digérant accompagne étroitement une certaine vision totalisante de l'humain. Sur ce point, les réalisations de Wim Delvoye rappellent certains tableaux de
Bruegel ; ainsi, Le Pays de Cocagne, image de digestion généralisée, souligne la dépendance à la nourriture qui atteint toutes les classes sociales ; trois personnages en pleine digestion sont caractérisés par leurs attributs : un clerc (écritoire), un chevalier (lance), un paysan (fléau), d'où une universalité - que renforce le corps à corps avec la terre - associée à la représentation du corps et, plus spécifiquement, de la digestion. Cette dernière abolit les différences de rang dans le tableau de Bruegel ; Wim Delvoye, de son côté, nous rappelle notre humanité première, au moyen d'une utilisation récurrente, comme motif artistique, de la digestion, que nous partageons tous.


Carnaval et Carême
L'universalité du manger chez Wim Delvoye rappelle donc la lecture qu'on peut faire de plusieurs tableaux de Bruegel : ces deux artistes du quotidien, séparés par des siècles, semblent inspirés par la même perception unifiante de la condition humaine, aplanissant ce faisant les vaines différenciations entre les individus. Chez Bruegel, tout est dans tout, rien n'est isolable. Ses images-monde paraissent poursuivre l'unique objectif d'humaniser la nature, de montrer que chacun de nous fait corps avec l'Autre, et d'insister sur la vanité humaine. Autant de dimensions remarquablement présentes chez Wim Delvoye.
Les Proverbes flamands (1559) constituent une mise en image de centaines de proverbes, sentences, et distiques moralisants, tous saisis dans la culture et la langue du pays, et dont un assez grand nombre se rapporte à l'ingestion et à la digestion d'aliments, à la défécation, au porc. La scène, nourrie d'une foule de personnages appartenant à différentes catégories sociales, manifeste clairement le lien entre la représentation d'activités ou d'objets quotidiens, triviaux, et une vision englobante de la société et de l'homme. De même, le Combat de carnaval et de carême unifie une myriade de figurants de tous types, âges et horizons sociaux, unis par un même rituel - le Carnaval - centré sur la nourriture et la digestion. En cela, Bruegel, selon un mot de Lucien Febvre, " entre triomphalement dans l'époque moderne ", par une capacité nouvelle à " camper des personnages en chair et en os ", saisis dans leur réalité quotidienne et physique.


Tous des bêtes
Chez Wim Delvoye une nouvelle étape est franchie dans cette voie, avec par exemple l'utilisation du rayon x (- qui met à nu ce que nous avons de plus universel et de plus commun, notre intériorité physique) associée aux intestins: en tout et en chacun, une volonté de synthèse semble s'insinuer. On peut élargir cette lecture au tatouage sur
cochons, à l'attirail sado-masochiste appliqué à un nichoir pour oiseaux ou à l'humanisation d'animaux par le biais de positions sexuelles (les cerfs) : autant d'avatars d’une " société " qui, dans ces oeuvres, se révèle plus animale qu'on ne croit: nous avons fondamentalement le même corps, nous sommes tous des animaux, et à ce titre nous faisons avant tout partie d'un même règne. Pas de différence entre les personnes dans des vitraux x où seuls les caractères sexuels demeurent un moyen légitime de distinguer les gens, qui, littéralement mis à nu, apparaissent sous leur jour le plus dépouillé, donc le plus authentique.