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Mise en bouche  
LE PARADIGME DE LA DIGESTION
Hybridation  
Wim Delvoye est-il un cynique?  
Contrôle des souffles corporels et analité  
Eloge du quotidien  
Art, artisanat, science  
  Le carnaval ou la grande bouffe
  Digérer: un certain rapport au monde
  Cloaca, image du monde en devenir
  "Le monde à l'envers"
  Une visée totalisante



___Wim Delvoye - B33, 1999-2000















___Wim Delvoye - Caterpillar #2, 2001
 
  "Le monde à l'envers"
 

Dans le carnaval s’opère une transformation de nos jugements de valeur : on assiste à une permutation de tout ce qui semblait pourtant acquis dans la société bien ordonnée. Cette même logique de renversement est omniprésente dans l’oeuvre de Wim Delvoye.

Cul par dessus tête
Tout d’abord, le carnaval met en scène des permutations constantes du haut et du bas, de la face et du derrière : c’est précisément ce qui advient par exemple dans l' "
anal kiss " de Wim Delvoye, où les baisers ne sont plus donnés par la bouche mais par l’anus.

Travestis
Mais " à l’envers " prend aussi la forme du travestissement et de la parodie ; comme l'écrit Claude Gaignebet, " lors de l'ouverture du carnaval, les hommes se conduisent comme des porcs, mangeant et buvant sans retenue, poussant de grands cris. Par l'effet d'une loi d'équilibre fréquemment observable en folklore, la place laissée libre par les hommes est aussitôt occupée par les cochons eux-mêmes, qui saisissent les hommes, les saignent et les font cuire. L'homme et le porc mangeant la même chose, ils sont de nature proche et leurs rapports appartiennent presque au registre de l'anthropophagie ". - Pourquoi le
cochon ? " Le fait est qu'aucun animal ne convient aussi bien à la dialectique du pur et de l'impur, de l'excrément et du sacrement. " Précisément, Wim Delvoye a pour animal de prédilection le cochon, qu’il choisit d’humaniser en le tatouant.

Le renversement-travestissement qui a lieu entre l’homme et l’animal se produit aussi entre l’homme et l’enfant, à travers le déguisement facétieux, traditionnel du carnaval d’un homme adulte en nouveau né : en proposant d’inclure ses dessins d'enfant dans la rétrospective de ses oeuvres, Wim Delvoye ne prétend évidemment pas leur prêter un quelconque statut d’art brut; il rejoint bien plutôt la thématique carnavalesque du royaume d'enfance, ou l'on cède l'autorité aux enfants.

Profanations
La logique de l’ "à l’envers" s’illustre aussi par des profanations et des rabaissements, c’est-à-dire par le transfert de tout ce qui est élevé, spirituel et abstrait sur le plan matériel et corporel : lors du carnaval, on avait pour pratique d’extraire de la Bible tous les détails matériels et triviaux, tout ce qui a un rapport avec le boire, le manger, la digestion ou la vie sexuelle. N’est ce pas le même type de déplacement qui a lieu quand Wim Delvoye transforme le
vitrail, originairement destiné à porter des épisodes bibliques, en un éloge de la sexualité et de la digestion ? Ne court-on pas le risque d’une " profanation " de la " grande cuisine " - vouée à se transformer publiquement en merde, dans l’alimentation de Cloaca par les plus grands chefs ? L’inscription des motifs de la façade de Notre-dame dans la matérialité d’un caterpillar, et la transposition de sacro-saints motifs traditionnels de la porcelaine de Delft sur des bonbonnes butagaz, ne vont-elles pas dans le même sens?