Dans le carnaval s’opère une
transformation de nos jugements de valeur : on assiste à une
permutation de tout ce qui semblait pourtant acquis dans
la société bien ordonnée. Cette même
logique de renversement est omniprésente dans l’oeuvre
de Wim Delvoye.
Cul par dessus tête
Tout d’abord, le carnaval met en scène des permutations
constantes du haut et du bas, de la face et du derrière
: c’est précisément ce qui advient par
exemple dans l' " anal
kiss " de Wim
Delvoye, où les baisers ne sont plus donnés
par la bouche mais par l’anus.
Travestis
Mais " à l’envers " prend aussi la
forme du travestissement et de la parodie ; comme l'écrit Claude
Gaignebet, " lors de l'ouverture du carnaval,
les hommes se conduisent comme des porcs, mangeant et buvant
sans retenue, poussant de grands cris. Par l'effet d'une
loi d'équilibre fréquemment observable en folklore,
la place laissée libre par les hommes est aussitôt
occupée par les cochons eux-mêmes, qui saisissent
les hommes, les saignent et les font cuire. L'homme et le
porc mangeant la même chose, ils sont de nature proche
et leurs rapports appartiennent presque au registre de l'anthropophagie ".
- Pourquoi le cochon ? " Le
fait est qu'aucun animal ne convient aussi bien à la
dialectique du pur et de l'impur, de l'excrément et
du sacrement. " Précisément,
Wim Delvoye a pour animal de prédilection le cochon,
qu’il choisit d’humaniser en le tatouant.
Le renversement-travestissement qui a lieu entre l’homme
et l’animal se produit aussi entre l’homme et
l’enfant, à travers le déguisement facétieux,
traditionnel du carnaval d’un homme adulte en nouveau
né : en proposant d’inclure ses dessins
d'enfant dans la rétrospective de ses oeuvres, Wim Delvoye
ne prétend évidemment pas leur prêter
un quelconque statut d’art brut; il rejoint bien plutôt
la thématique carnavalesque du royaume d'enfance,
ou l'on cède l'autorité aux enfants.
Profanations
La logique de l’ "à l’envers" s’illustre
aussi par des profanations et des rabaissements, c’est-à-dire
par le transfert de tout ce qui est élevé,
spirituel et abstrait sur le plan matériel et corporel
: lors du carnaval, on avait pour pratique d’extraire
de la Bible tous les détails matériels et triviaux,
tout ce qui a un rapport avec le boire, le manger, la digestion
ou la vie sexuelle. N’est ce pas le même type
de déplacement qui a lieu quand Wim Delvoye transforme
le vitrail,
originairement destiné à porter
des épisodes bibliques, en un éloge de la sexualité et
de la digestion ? Ne court-on pas le risque d’une " profanation " de
la " grande cuisine " - vouée à se
transformer publiquement en merde, dans l’alimentation
de Cloaca par
les plus grands chefs ? L’inscription
des motifs de la façade de Notre-dame dans la matérialité d’un
caterpillar,
et la transposition de sacro-saints motifs traditionnels
de
la porcelaine de Delft sur des bonbonnes
butagaz,
ne vont-elles pas dans le même sens?