___Wim Delvoye - Caterpillar #2, 2001
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"Beau", "net",
ou intéressant? |
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Sur le point
précis de l'utilisation
du quotidien comme sujet artistique, Wim Delvoye se rapprocherait
donc plus, paradoxalement, de Vermeer que de Duchamp,
( - qui refusait radicalement toute appréciation esthétique de ses
ready-made) : en effet, il ne s'agit pas pour lui de transformer
arbitrairement n'importe quel objet courant en oeuvre d'art, mais
de rechercher, et surtout, de faire surgir, par le travail de création,
ce qu'il y a de potentiellement intéressant en lui. C'est
peut-être pour cela que Wim Delvoye ne propose pas de ready-made;
sa bétonneuse n’est pas une bétonneuse ordinaire,
mais une sculpture minutieuse; il ne décrète pas
oeuvres d'art ses radios aux rayons x, mais en fait des vitraux selon
une technique artisanale; il ne construit pas une maquette exacte
de caterpillar, mais
lui donne une architecture gothique imitant celle de Notre Dame;
il ne vend pas les excréments
de n'importe qui, mais les productions d'une machine laborieusement
conçue à cet effet... Il s'ensuit un certain rapport
aux objets qui nous entourent, dans lequel nos clivages manichéens
habituels se trouvent brouillés. C'est aussi ce qui fait
la force de Wim Delvoye, héritier à sa façon
du regard que portait sur le monde, l'extra-ordinaire - au sens
littéral du terme - peinture de genre flamande.
Nos sociétés européennes ont tendance à considérer
et à juger le monde à l'aide de couples antagonistes
opposant le noble à l'ignoble. Selon Tzvetan Todorov, " la
peinture hollandaise présente un des rares moments de notre
histoire où la vision manichéenne du monde a été battue
en brèche : non forcément dans la conscience des
individus qui peignaient des tableaux, mais dans les tableaux eux-mêmes.
La beauté n'est pas au-delà ou au-dessus des choses
vulgaires, elle est en leur sein même, et il suffit d'un
regard pour l'en extraire et la révéler à tous.
Les peintres hollandais... ont découvert que la beauté pouvait
imprégner la totalité de l'existence. "
Il convient toutefois d'émettre ici un bémol : si
nous sommes libres, en tant que spectateurs, de rattacher l’oeuvre
de Wim Delvoye à celle d’une lignée d’artistes
des Ecoles du Nord — cela ne signifie naturellement pas qu’elle
doive y être comparée de manière unilatérale
; sa dimension ironique, parfois grinçante, interdit toute
assimilation. Dérision et provocation font partie intégrante
de son travail, et si Wim Delvoye réalise et fait réaliser
de " beaux " (-il dit, des objets " nets ", " bien
faits "), il faut d’abord voir en eux la distance polémique
prise par rapport à l’idée de beau.
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