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  Wim Delvoye est-t-il scandaleux?
  Wim Delvoye est-il trivial?
  Wim Delvoye est-il kitch?
  Belge




___Wim Delvoye - Shovel (Iscababaa), 1989















___Wim Delvoye - Logo Cloaca


___Andy Warhol - Close Cover Before Striking (Pepsi -Cola), 1962
 
  Wim Delvoye est-il trivial?
 

 

De Duchamp, Wim Delvoye hérite le geste inaugural de faire entrer aux musée des objets inattendus, et par définition exclus de l’univers artistique: à la trivialité du readymade de Duchamp, un urinoir rebaptisé « Fontaine », répond comme un écho amplifié celle du cochon, des rondelles de saucisson, et dans un registre encore plus proche, Cloaca, qui ne se contente pas d’évoquer l’accomplissement des besoins naturels, mais qui effectue sous nos yeux le processus même qui y aboutit.

Cette place accordée au
trivial et au quotidien va de pair avec l’acceptation comme œuvres d’art d’objets produits par toutes formes de technique, y compris industrielle: Delvoye utilise toutes les ressources de l’artisanat et de la science, depuis le vitrail jusqu’à la chimie en passant par la mosaïque, le tatouage, la porcelaine et la radiographie.
Mais si la série de pelles de chantier peintes façon héraldique rappelle un autre ready made de Duchamp, intitulé
In advance of the broken arm ( une grosse pelle à neige), la transformation que Delvoye lui fait subir va dans un sens précisément inverse à l’opération du ready-made, lequel considère l’objet industriel pour son absence d’ambition artistique, et cultive une indifférence de principe à l’égard de ses éventuelles qualités esthétiques ( - Duchamp avait en horreur la « pâte » ou style de l’artiste, qui laisse dans l’œuvre la trace d’une sensibilité individuelle, et il ne voulait pas entendre parler de la « beauté » de ses Fontaines, ou de ses porte-manteaux): les pelles de Delvoye, au contraire, sont convoquées comme produits d’une double technique: technique industrielle du côté de la forme de l’objet, et peinture ornementale du côté des armoiries qui le recouvrent – et esthétisent l’objet, dans le registre d’une culture ancienne, et partagée.

De cette rencontre, du reste, surgit une dissonance bien spécifique – comparable à la figure rhétorique de l’ironie – dont on ne saurait dire, si la pelle « trivialise » l’emblême, ou si l’emblême « annoblit » la pelle ; l’œuvre inviterait plutôt le spectateur à réviser les critères au nom desquels il maintient tel ou tel objet dans des catégories esthétiques étanches… La peinture joue ici doublement: dans sa matérialité, à travers le caractère bien fait, décoratif, mais aussi en tant que référence à notre patrimoine culturel. Les objets de Wim Delvoye tirent donc leur force d’une sorte de surcharge culturelle.

Cette saturation référentielle est particulièrement frappante dans l’usage qu’il fait des signes empruntés à l’univers de la consommation:
Les tatouages des cochons, de Harley Davidson à la Vache qui rit, sont autant de références à la publicité, à tel point que l’animal ainsi érigé au statut d’œuvre d’art apparaît comme une réalité ambivalente, mi yakusa mi support marketting. Le Logo réalisé pour Cloaca joue lui, moins sur l’ambivalence que sur l’accumulation: il accomplit la prouesse de réunir visuellement en une seule figure Monsieur Propre, les logos Ford et Coca Cola !
Quelqu’un comme
Andy Warhol s’était déjà approprié les signifiants multiples des marques, comme par exemple celui de célèbres marques de soda, dans ses séries de bouteilles de coca cola ou de capsules de Pepsi lithographiées ; d’une certaine façon en effet, l’univers de Wim Delvoye est parent de celui du Pop Art [1], lequel pratiquait déjà une appropriation des motifs et des médiums de la culture de masse.

Comme s’il adoptait une perspective anthropologique, inscrivant dans un continuum artistique les « beaux-arts » et un art populaire de masse, Wim Delvoye puise à toutes les sources de notre imagerie collective ; il ne se contente pas de l’univers publicitaire, mais joue aussi sur la familiarité d’un patrimoine culturel hérité du passé: la mosaïque, la cathédrale, les carreaux de Delft.
Wim Delvoye n’est en cela pas si loin de l’artiste chasseur de mythes tel que le définissait Richard Hamilton en 1961 dans son article « pour le plus beau des arts, essayez le POP »
[1] : « la culture populaire a dérobé aux beaux arts leur rôle de création de mythe (…) L’odalisque de la peinture trouve son équivalent contemporain le plus proche dans la playmate du mois , le poster détachable de Playboy. Les stylistes de carrosserie automobile ont assimilé le symbolisme de l’âge de l’espace mieux que n’importe quel artiste (…) Pour ne pas perdre sa vocation ancienne, l’artiste devra peut être piller les arts populaires pour retrouver les images qui constituent son héritage légitime. »

Il semble bien que ce soit dans cette optique que Wim Delvoye s’intéresse à la puissance communicative de l’icône: le Manneken Pis, la
Joconde, la Statue de la liberté, les images de Walt Disney ont l’universalité des grands mythes; de même les images publicitaire tirent leur force de leur caractère immédiatement reconnaissable, et de leur universalité.
On aurait donc grand tort de voir en Wim Delvoye un iconoclaste ; il est bien plutôt un exalté de l’icône, le caractère extrêmement lisible et communicatif de ses œuvres allant de pair avec un profond humanisme.


[1] Richard Hamilton, << For the finest Art try- POP", 1961, Gazette n°1>>