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  Sigmund Freud_ Cinq psychanalyses_PUF_1954
 

 

Le président Schreber

(...) Un exposé circonstancié du délire, sous sa forme définitive, est donné par le médecin de l'asile, le Dr Weber, dans son expertise de 1899 : " Le point culminant du système délirant du malade est de se croire appelé à faire le salut du monde et à rendre à l'humanité la félicité perdue. Il a été, prétend-il, voué à cette mission par une inspiration divise directe, ainsi qu'il est dit des prophètes ; des nerfs, excités comme le furent les siens pendant longtemps, auraient, en effet, justement la faculté d'exercer sur Dieu une attraction, mais il s'agit là de choses qui ne se laissent pas exprimer en langage humain, ou alors très difficilement, parce qu'elles sont situées au?delà de toute expérience humaine et n'ont été révélées qu'à lui seul. L'essentiel de sa mission salvatrice consisterait en ceci qu'il lui faudrait d'abord être changé en femme. Non pas qu'il veuille être, changé en femme, il s'agirait là bien plutôt d'une "nécessité" fondée sur l'ordre universel, à laquelle il ne peut tout simplement pas échapper, bien qu'il lui eût été personnellement bien plus agréable de conserver sa situation d'homme, ce qui est tellement plus digne. Mais ni lui-même, ni le restant de l'humanité ne pourront regagner l'immortalité, à moins que lui, Schreber, ne soit changé en femme (opération qui ne sera peut-être accomplie qu'après de nombreuses années, ou même de décennies, et ceci au moyen de miracles divins). Il serait lui-même _ il en est sûr _l'objet exclusif de miracles divins et partant, l'homme le plus extraordinaire ayant jamais vécu sur terre. Depuis des années, à toute heure, à toute minute, il ressent ces miracles dans son propre corps ; ils lui sont confirmés par des vois qui lui parlent. Dans les premières ansées de sa maladie, certains organes de son corps avaient été détruits su point que de telles destructions auraient infailliblement tué tout sotie homme. Il a longtemps vécu sans estomac, sans intestins, presque sans poumons, l'oesophage déchiré, sacs vessie, les côtes broyées ; il avait parfois mangé en partie son propre larynx, et ainsi de suite. Mais les miracles divins (les "rayons") avaient toujours à nouveau régénéré ce qui avait été détruit, et c'est pourquoi, tant qu'il restera homme, il restera immortel.
(...)
(...) Dieu soulève chez Schreber, une indignation particulière par son comportement en ce qui concerne le besoin d'évacuer ou de ch... Ce passage est si caractéristique que je le cite intégralement. Pour qu'il puisse être bien compris, je commencerai par dire que les miracles aussi bien que les voix émanent de Dieu, c'est-à-dire des rayons divins.
« Vu la signification caractéristique de la question sus-mentionnée : « Pourquoi ne ch...-vous donc pas ? » je dois lui consacrer encore certaines remarques, quelque indécent que soit le thème que je me vois par là obligé d'aborder. Comme tout ce qui concerne mon corps, le besoin d'évacuer les matières est en effet provoqué par des miracles. Cela a lieu comme suit : les matières sont poussées en avant, parfois aussi
en arrière, dans l'intestin et lorsqu'il n'en reste plus assez _l'évacuation étant achevée _ l'orifice anal est barbouillé avec le peu qui demeure du contenu intestinal. II s'agit ici d’un miracle du Dieu supérieur, miracle qui se répète au moins plusieurs douzaines de fois par jour. A ceci se rattache une idée, presque inconcevable pour l’homme, idée découlant de l'incompréhension fatale qu'à Dieu de l'homme vivant en tant qu'organisme, que « ch… » est pour ainsi dire la chose ultime, c’ est-à-dire que, en miraculant le besoin de ch..., l'objectif de la destruction de la raison est atteint et donnée la possibilité d'une retraite définitive des rayons divins. Ainsi qu'il me paraît, il faut pour comprendre à fond l'origine de cette idée, songer à l'existence d'un malentendu relatif à la signification symbolique de l'acte de l'évacuation des matières : celui qui est parvenu à se mettre en un rapport semblable au mien avec les rayons divins à pour ainsi dire le droit de ch... sur le monde entier. »
« Toute la perfidie de la politique dirigée contre moi se révèle là-dedans. Presque chaque fois où le besoin d'évacuer m'est miraculé, on envoie une autre personne de mon entourage au cabinet, après avoir dans ce but excité ses nerfs, afin de m'empêcher de déféquer ; ceci est un phénomène que j'ai observé, depuis des années, un si incalculable nombre (des milliers) de fois, et si régulièrement, que toute idée de hasard est exclue. A moi-méme il est répondu à la question : « Pourquoi ne ch…-vous donc pas ? » Par la fameuse réponse : « Parce que je suis bête ou quelque chose comme ça ». La plume se refuse à transcrire cette formidable stupidité, à savoir que Dieu, dans son aveuglement, basé sur sa méconnaissance de la nature humaine, puisse réellement aller jusqu'à admettre qu'il existe un homme incapable d’une chose que n'importe quel animal sait faire : un homme qui, par bêtise, est incapable de ch… Si j’arrive quand j’éprouve un besoin, à déféquer réellement _et je me sers pour cela généralement d’un seau, trouvant le cabinet presque toujours occupé_ cette défécation est chaque fois accompagnée d'une éclosion extrêmement intense de volupté spirituelle. La délivrance de la pression qu’exercent les matières sur l'intestin cause en effet un plaisir intense aux nerfs de volupté ; la même chose se produit aussi lorsque je pisse. C’est la raison pour laquelle, et ceci toujours sans exception, au moment de la défécation ou de la miction, tous les rayons ont été réunis ; et c'est pour la même raison que, toutes les fois où je m'apprête à accomplir ces fonctions naturelles, l'on cherche, bien que le plus souvent en vain, à me démiraculer le besoin de déféquer et de pisser ». (...)


L'homme aux loups

(...) Je prierai le lecteur de se rappeler que cette histoire d'une névrose infantile est pour ainsi dire comparable à un sous?produit obtenu au cours de l'analyse d'une maladie nerveuse à l'âge adulte. J'ai par suite dû la reconstituer à l'aide de fragments plus petits encore qu'on n'en a d'ordinaire à sa disposition pour effectuer une synthèse. Cette tâche, par ailleurs peu difficile, couve cependant ses limites naturelles dès qu'il s'agit de faire rentrer un édifice à plusieurs dimensions dans le plan descriptif. Je dois ainsi me contenter de présenter l'un agrès l'autre des fragments que le lecteur pourra ensuite rassembler en un tout vivant. Comme je l'ai souligné à diverses reprises, la névrose obsessionnelle qui a été décrite prit naissance dans le terrain d'une constitution sadique-anale. Il ne fut question jusqu'ici que d'un seul des deux facteurs essentiels : du sadisme et de ses transformations. Tout ce qui concerne l'érotisme anal a été intentionnellement laissé de côté et va être maintenant rassemblé et étudié dans son ensemble.
Les analystes sont depuis longtemps d'accord pour attribuer nus motions pulsionnelles multiples que l'on réunit sous le nom d'érotisme anal un rôle d'une importance extraordinaire et qu'on ne saurait surestimer, dans l'édification de la vie sexuelle et de l'activité psychique en général. On admet également que l'une des manifestations les plus importantes de l'érotisme transformé qui dérive de cette source se retrouve dans la manière de traiter l'argent ; car, au cours de la vie, ce précieux matériel a accaparé l'intérêt psychique originairement appartenait aux fèces, au produit de la zone anale. Nous nous sommes habitués à ramener l’intérêt qu'inspire l'argent, dans la mesure où il est de nature libidinale et non de nature rationnelle au plaisir excrémentiel et à réclamer de l'homme normal qu'il garde ses rapports à l’argent entièrement libres d'influences libidinales et qu'il les régle suivant les exigences de la réalité.
Chez notre patient, à l'époque de la dernière de ses maladies nerveuses ses rapports avec l'argent étaient troublés à un degré particulièrement grave, et ce fait il nétait pas le facteur le moindre de son manque d'indépendance et de son incapacité de s'adapter à la vie. Ayant hérité et de son père et de son oncle, il était devenu très fortuné ; on voyait qu'il attachait beaucoup de prix à passer pour riche et rien ne le froissait autant que d'être sous?estimé à cet égard.. Mais il ne savait pas ce qu’il possédait, ce qu'il dépensait, ce qui lui restait. Il était difficile de de dire s'il eût fallu le qualifier d'avare ou de prodigue. Il se comportait tantôt comme ceci, tantôt comme cela, mais jamais d'une façon suggérant des intentions logiques. D'après certains traits frappants, que je rapporterai plus loin, on aurait pu le prendre pour un ploutocrate endurci regardent sa richesse comme son plus grand avantage personnel et ne laissant pas ses sentiments l’emporter un seul instant sur ses intérêts d'argent. Cependant, il n'estimait pas les autres d'après leur fortune et, en bien des circonstances, se montrait tout au contraire modeste, secourable et compatissant. L'argent était en effet soustrait chez lui au contrôle conscient et avait pour lui une signification toute différente.
Je l'ai déjà mentionné : j'avais trouvé des plus suspectes sa façon de prendre la perte de sa soeur qui avait été ces dernières années son meilleur camarade, et de se consoler en se disant qu'à présent il n'aurait plus besoin de partager avec elle 1'héritage de ses parents. Plus frappant encore était le calme avec lequel il relatait la chose, tout comme s'il ne comprenait nullement la dureté de sentiments dont témoignait cet aveu . A vrai dire l'analyse le réhabilita en faisant voir que la douleur relative à la perte de sa soeur n'avait fait que subir un déplacement, mais c'est alors qu’il devint tout à fait impossible de comprendre que le malade eut cherché à trouver dans une augmentation de richesse un substitut á sa soeur.
Sa manière d'agir dans un autre cas lui semblait à lui-même énigmatique. Après la mort de son père, l’héritage de celui-ci fut partagé entré lui-même et sa mère. Sa mère administrait cet héritage, et , lui-même devait en convenir, subvenait à ses besoins d'argent d'une manière irréprochable et avec libéralité. Toutefois, toute discussion entre eux sur des questions d'argent se terminait régulièrement par les reproches fis plus violents de sa part à lui . sa mère ne l'aimait pas, elle ne pensait qu'à faire des économies à ses dépens, et elle préférerait qu'il fût mort, afin de disposer seule de l'argent. Alors sa mère protestait en pleurant de son désintéressement, il avait honte de ce qu'il avait dit, assurait à juste titre qu'il ne pensait rien de tout cela, tout en sachant pertinemment qu'il recommencerait infailliblement la même scène à la prochaine occasion.
Bien des incidents montrent que les fèces, longtemps avant qu'il ne vînt en analyse, avaient pour lui signifié l'argent. J'en rapporterai deus exemples. A une époque où l'intestin ne participait pas encore à ses troubles nerveux, il était allé, dans une grande ville, voir un de ses cousins pauvres. En quittant celui-ci, il se reprocha vivement de ne pas l'aider pécuniairement et, immédiatement après, éprouva « peut-être le plus fort besoin d'aller à la selle qu'il eût eu de sa vie : Deux ans plus tard, il se mit vraiment à servir une rente à ce cousin. Voici l'autre cas : à l'âge de 18 ans, pendant qu'il préparait son examen de fin d'études secondaires, il alla voir un de ses camarades et arrêta avec lui un plan qui semblait bon à suivre, vu la peur qu'ils avaient tous deux d'échouer à cet examen. Ils avaient décidé d'acheter le concierge du lycée et la contribution de notre patient à la somme qu'il s'agissait de réunir était naturellement la plus forte. En rentrant chez lui, il se dit qu'il donnerait volontiers davantage encore pour réussir à l'examen, pour qu'il ne lui y arrivât aucun accident, et en réalité un autre « accident » lui arriva avant qu'il n'eût atteint la porte de sa maison .
Nous ne serons pas étonnés d'apprendre que notre malade, au cours de sa maladie ultérieure, souffrait de troubles intestinaux tenaces, troubles cependant susceptibles d'oscillations selon les circonstances. Au moment où je le pris en traitement, il avait contracté l'habitude des lavements que lui donnait un valet de chambre; des mois durant, il n'avait pas d'évacuations spontanées, à moins qu'une excitation soudaine, venue d'un certain côté, ne survînt : alors une activité normale de l'intestin pouvait s'établir pour quelques jours. Il se plaignait avant tout de ce que pour lui l'univers était enveloppé d'un voile, ou bien de ce que lui-même était séparé de l'univers par un voile. Ce voile ne se déchirait qu'à un seul moment quand, sous l'influence du lavement, le contenu intestinal sortait de l'intestin; alors il se sentait à nouveau bien portant et normal.
Le confrère à qui j'adressai mon patient en vue d'un examen de son état intestinal fut assez perspicace pour l'expliquer par un trouble fonctionnel, sans doute même psychiquement déterminé, et pour s'abstenir de toute médication active. D'ailleurs, ni les médicaments ni les régimes ne servaient de rien. Pendant toutes les années que dura le traitement analytique, il n'y eut pas de selles spontanées (en dehors des excitations soudaines que j'ai mentionnées). Le malade se laissa convaincre que tout traitement actif de l'organe perturbé ne ferait qu'aggraver son état, et se contenta d'obtenir une évacuation intestinale, un ou deux fois par semaine, au moyen d'un lavement ou d'une purge.
J'ai, au sujet de ces troubles intestinaux, traité de la maladie nerveuse ultérieure de mon malade plus amplement qu'il n'était prévu dans le plan de ce travail relatif à sa névrose infantile. Deus raisons m'y ont incité : premièrement, les symptômes intestinaux de mon patient avaient passé, sans subir de modification notable, de sa névrose infantile à sa névrose ultérieure; deuxièmement, ils ont joué un rôle capital dans la conclusion du traitement.
On sait de quelle importance est le doute pour le médecin qui analyse une névrose obsessionnelle. C'est l'arme la plus forte du malade, le moyen de prédilection de sa résistance. Ce doute permit à notre patient de se retrancher à son tour derrière une respectueuse indifférence et de laisser ainsi, durant des années, glisser sur lui, sans qu'ils le touchassent, tous les efforts du traitement. Rien ne changeait en lui et il n'y avait aucun moyen de le convaincre. Je reconnus enfin de quelle importance pouvaient être les troubles intestinaux en vue de mes desseins ; ils représentaient la parcelle d'hystérie qui se retrouve régulièrement à la base de toute névrose obsessionnelle. Je promis à mon patient qu'il retrouverait intégralement son activité intestinale et lui permis, par cette promesse, de manifester ouvertement son incrédulité. J'eus alors la satisfaction de voir s'évanouir ses doutes, lorsque l'intestin, tel un organe hystériquement affecté, commença à se « mêler »à la conversation » pendant notre travail, et eut recouvré en quelques semaines sa fonction normale si longtemps entravée.
Je reviens maintenant à l'enfance du parient, à une époque où les fèces ne pouvaient absolument pas encore avoir pour lui la signification de l'argent.
Des troubles intestinaux s'étaient manifestés chez lui de très bonne heure, surtout le plus fréquent et le plus normal chez l'enfant : l'incontinence. Nous serons sûrement dans le vrai en écartant une explication pathologique de ces premiers accidents, et en n'y voyant qu'une preuve de l'intention où était l'enfant de ne pas se laisser troubler ou arrêter dans le plaisir lié à la fonction d'évacuation. Notre patient prenait un vif plaisir aux plaisanteries anales et aux exhibitions, plaisir s'accordant d'ordinaire avec la vulgarité naturelle de certaines classes sociales, différentes de la sienne, et il avait continué à y prendre plaisir jusqu'après le début de sa dernière maladie nerveuse.
Au temps de la gouvernante anglaise, il arriva plusieurs fois que lui et Nania eussent à partager la chambre de cette femme détestée. Nania constata alors, ce qui témoignait de sa compréhension, que c'était justement ces nuits-là qu'il souillait son lit, ce qui, en général, ne lui arrivait plus. Il n'en avait nullement honte, c'était l'expression d'un défi envers la gouvernante.
Un an plus tard (il avait alors 4 ans 1/2), à la période de l'angoisse, il lui arriva de faire dans son pantalon pendant la journée. Il en eut terriblement honte, et pendant qu'on le nettoyait, se mit à gémir qu' « il ne pouvait plus vivre ainsi». Quelque chose s'était donc modifié dans l'intervalle et, en partant de la plainte du petit garçon, nous en retrouvâmes la trace. Il s'avéra que les paroles : « Je ne peux plus vivre ainsi » étaient la fidèle reproduction de paroles prononcées par quelqu'un d'aune. Sa mère, un jour , l'avait emmené avec elle, en reconduisant à la gare le médecin qui était venu la voir. Tout en marchant, elle se plaignait de ses douleurs et de ses pertes de sang, et finit par dire, dans les mêmes termes, qu' « elle ne pouvait plus vivre ainsi ». Elle ne se doutait pas que l'enfant qu'elle menait par la main garderait ces mots dans sa mémoire. Cette plainte, qu'il devait d'ailleurs répéter d'innombrables fois au cours de sa maladie nerveuse ultérieure, avait ainsi le sens d'une identification à sa mère.
Il lui revint bientôt un souvenir qui, vu sa nature et l'époque à laquelle il se rapportait, constituait vraiment un terme intermédiaire entre ces deux incidents.
Un jour, au début de la période de l'angoisse, sa mère, inquiète, donna des instructions dont le but était de préserver ses enfants de la dysenterie qui venait de faire son apparition dans les environs de. la propriété. Il demanda ce que c'était, et quand il eut appris que lorsqu'on a la dysenterie, il y a du sang dans les selles, il commença à avoir très peur et à déclarer qu'il y avait aussi du sang dans ses selles à lui; il craignait de mourir de la dysenterie, cependant, un examen ayant eu lieu, il se laissa convaincre qu'il s'était trompé et qu'il n'avait rien à craindre. Nous le voyons, ce qui cherchait à se réaliser au moyen de cette crainte, c'était une identification à sa mère : celle-ci, en effet, avait, devant lui, parlé de ses hémorragies. Lors de sa tentative ultérieure d'identification (à 4 ans 1/2), il n'était plus question de sang; il ne se comprenait plus lui-même, il croyait avoir honte et ne savait pas que ce qui le faisait trembler, c'était l'angoisse de mort, qui cependant se révélait de façon indubitable dans la plainte émise.
Sa mère, atteinte d'une maladie du bas-ventre, était alors en général inquiète tant à son propre sujet qu'à celui de ses enfants, et il est tout à fait probable que la crainte qu'éprouvait l'enfant, en plus de ses motifs propres, se fondait sur une identification à sa mère.
Que signifiait cependant cette identification à sa mère ?
Entre l'usage impudent qu'il avait fait à 3 ans 1/2 de son incontinence, et l'horreur que celle-ci lui inspira à 4 ans 1/2, se place le rêve qui inaugura la période d'angoisse, rêve qui lui apporta la compréhension, après coup, de la scène vécue à 1 an 1/2 et l'élucidation du rôle de la femme dans l'acte sexuel. Il est naturel d'établir un rapport entre ce grand bouleversement et son changement d'attitude envers la défécation. « Dysenterie » était évidemment pour lui le nom de la maladie dont il avait entendu sa mère se plaindre, de la maladie avec laquelle « on ne pouvait pas vivre » ; sa mère pour lui ne souffrait pas des organes génitaux, mais de l'intestin. Sous l'influence de la scène primitive, il en vint à conclure que sa mère avait été rendue malade par ce que son père avait fait avec elle, et sa propre peur d'avoir du sang dans ses selles, d'être malade comme sa mère, correspondait au refus de l'identification à sa mère dans cette scène sexuelle, ce même refus avec lequel il s'était éveillé du rive. Mais la peur témoignait encore de ce que, dans l'élaboration ultérieure de la scène primitive, il s'était mis à la place de sa mère et lui avait envié cette relation à son père. L'organe par lequel l'identification à la femme, l'attitude homosexuelle passive envers l'homme pouvait s'exprimer, était celui de la zone anale. Les troubles dans la fonction de cette zone avaient maintenant acquis la signification d'impulsions féminines de tendresse qu'ils conservèrent pendant la maladie nerveuse ultérieure.
Ici il nous faut prêter l'oreille à une objection, dont la discussion ne contribuera pas peu à élucider la confusion apparente qui règne en ces matières. Nous avons dû l'admettre : il aurait compris, au cours du processus de ce rêve, que la femme était châtrée et qu'elle avait, à la place du membre viril, une blessure qui servait au commerce sexuel ; la castration lui apparaissait ainsi comme étant la condition de la féminité c'était la perte menaçante de son membre viril qui lui aurait refouler son attitude féminine envers l'homme et il aurait passé de ses émois homosexuels à l'état d'angoisse. Or, comment cette intelligence du commerce sexuel, cette reconnaissance du vagin, peuvent?elles se concilieravec le choix de l'intestin en vue de l'identification à la femme ? Les symptômes intestinaux ne sont-ils pas fondés sur une conception qui est sans doute plus ancienne – et qui se trouve en pleine contradiction avec la peur de la castration – conception d’après laquelle les rapports sexuels auraient lieu par l'anus ?
Certes cette contradiction existe et ces deux conceptions sont inconciliables. Il s'agit seulement de savoir s'il est indispensable qu’elles se concilient. Notre stupéfaction ne provient que d'un fait c'est que nous sommes toujours tentés de traiter les processus psychiques inconscients à l'instar des conscients et d'oublier les différences profondes qui séparent ces deux systèmes psychiques.
Lorsque l’attente et l'excitation précédant le rêve de Noël eurent évoqué chez l'enfant le tableau du commerce sexuel de ses parents, autrefois observé (ou reconstruit), il ne saurait y avoir aucun doute sur ce qui se passa en lui : la conception du coït qui apparut la première fut la plus ancienne, conception d'après laquelle la partie du corps de la femme qui recevrait le membre viril serait l'anus. Qu'aurait-il donc pu croire d'autre, puisque à 1 an ½ il fut spectateur de cette scène ? Mais alors se passa quelque chose de nouveau, maintenant qu'il avait 4 ans. L'expérience qu'il avait acquise dans l’intervalle, les allusions faites devant lui à la castration, se réveillèrent et jetèrent un doute sur la « théorie du cloaque » ; elles lui suggérèrent la reconnaissance de la différence des sexes et du rôle sexuel dévolu à la femme. Il se comporta à cette occasion à la manière habituelle des enfants, quand on leur donne une explication qui leur est désagréable, que celle-ci touche à des sujets sexuels ou d'une autre nature. Il rejeta l’idée nouvelle _dans notre cas par peur de la castration _ et se cramponna à la vieille idée. II prit parti pour l’intestin contre le vagin de la même façon que, plus tard, il devait prendre parti pour son père contre Dieu. L’explication nouvelle fut écartée ; la vieille théorie était susceptible de fournir le matériel nécessaire à l’identification avec la femme, identification qui devait ultérieurement se faire jour sous la forme de la mort survenant par suite des troubles intestinaux ; elle pouvait aussi fournir matière à ses premiers scrupules religieux : le Christ possédait-il un derrière ? et ainsi de suite. Ce n'est pas que la nouvelle intelligence des choses fût demeurée sans effet, tout au contraire. Elle eut un effet d'une force extraordinaire : elle devint la raison pour laquelle le processus entier du rêve fut maintenu dans le refoulement et exclu d'une élaboration ultérieure consciente. Mais par là son effet, se trouva épuisé, elle n'exerça aucune influence sur la solution du problème sexuel. Il y avait certes contradiction à ce que, dès lors, la peur de la castration pût subsister à côté de l'identification à la femme par l’itermédiaire de l'intestin mais ce n'était là qu'une contradiction logique, ce qui ne veut pas dire grand?chose. Tout au contraire ce processus est bien plutôt caractéristique que la manière dont travaille l'inconscient. Un refoulement est autre chose qu'un rejet.
Alors que nous étions en train d'étudier la genèse de la phobie des loups, nous nous attachions à suivre les effets de la nouvelle intelligence acquise touchant l’acte sexuel ; maintenant que nous étudions les troubles de la fonction intestinale, nous nous trouvons sur le terrain de la vieille théorie cloacale. Les deux points de vue étaient maintenus à l'écart l'un de l'autre par tout un stade de refoulement. L'attitude féminine envers l’homme écartée de par l’action de refoulement, pris pour ainsi dire, refuge dans la symptomatologie intestinale, et se manifesta dans les diarrhées, constipations et douleurs d'intestin si fréquentes au cours de l'enfance du malade. Les fantasmes sexuels ultérieurs édifiés sur la base d'une connaissance sexuelle exacte, étaient ainsi à même de s'exprimer sur un mode régressif en tant que troubles intestinaux. Nous ne comprendrons cependant pas ceux?ci avant d'avoir découvert les changements de signification qu'avaient subis les fèces, pour notre patient, depuis les premiers jours de son enfance.
J'ai, plus haut, laissé entrevoir qu'un fragment de la scène primitive n'avait pas été rapportée. Je puis maintenant combler cette lacune. L'enfant interrompt finalement les rapports sexuels de ses parents en ayant une selle ce qui lui permit de se mettre de crier. Tout ce que j'ai dit plus haut, relativement à la critique des autres parties de la même scène, s'applique également à celle de ce fragment supplémentaire. Le patient acquiesça à cette conclusion de la scène reconstruite, par moi et sembla la confirmer par la formation de « symptômes transitoires ». Je dus renoncer à une autre addition que j'avais proposée. Le père aurait manifesté sa mauvaise humeur d'être dérangé en grondant l’enfant. Car le matériel apporté par l'analyse ne réagit pas à cette suggestion.
Le détail que je viens d'ajouter ici ne peut naturellement pas être mis sur le même rang que le reste du contenu de la scène. Ici, il s'agit non pas d'une impression extérieure, dont le retour peut être escompté dans un grand nombre d'indices ultérieurs, mais d'une réaction propre à l'enfant. Rien ne serait changé à toute cette histoire si cette manifestation n'avait alors pas eu lieu ou si elle avait été ultérieurement intercalée dans l'ensemble de la scène. Mais la façon de la concevoir ne saurait laisser place à aucun doute. Elle est l'indice d'une excitation de la zone anale (au sens le plus large du mot). Dans d'autres cas semblables une observation analogue des rapports sexuels se termine par une émission d'urine ; un homme adulte, dans les mêmes conditions, aurait une érection. Notre petit garçon réagit par une évacuation intestinale à une excitation sexuelle. Ce fait doit être considéré comme caractéristique de sa constitution sexuelle congénitale. Il adopte d'emblée une attitude passive, il manifeste plus de tendance à une identification ultérieure avec la femme qu'avec l'homme.
En même temps, comme le ferait tout autre enfant, il fait usage de son contenu intestinal dans l'un de ses sens les plus précoces et les plus primitifs. Les fèces constituent le premier cadeau, le premier sacrifice que consent l'enfant à ce qu'il aime, une partie de son propre corps dont il veut bien se priver, mais seulement en faveur d'une personne aimée. Se servir des fèces dans un but de défi, ainsi que le fit notre patient à 3 ans 1/2 contre la gouvernante, c'est prendre cette signification originelle de « cadeau » au sens inverse négatif. Le grumus merdae que les cambrioleurs laissent sur le lieu de leurs forfaits semble avoir les deux sens : il exprime le mépris et un dédommagement sur le mode régressif. Quand un stade supérieur a été atteint, il est encore possible au stade antérieur de trouver un emploi au sens rabaissé de façon négative. Le refourefoulement s'exprime par l'acquisition d'un sens contraire.
A un stade ultérieur de l'évolution sexuelle les fèces acquièrent le sens d' « enfant ».. Car l’enfant tout comme les fèces souvent qualifiées de « cadeau », sort quand il naît, par le derrière. Et il est d'usage courant de qualifier l'enfant de cadeau ; c'est de la femme qu'on dit le plus souvent qu'elle a « donné un enfant » à l'homme, mais l'inconscient a coutume, à juste titre, d'avoir tout aussi bien égard à l'autre aspect de ce rapport et de considérer que la femme a « reçu » de l'homme, en cadeau, l'enfant.
La signification d' « argent » qu'ont les fèces bifurque dans une autre direction, à partir du tronc commun où elles ont le sens de « cadeau ».