L’œuvre-machine, en tant que dispositif
autonome, pose une question qui dépasse celle de l’usage
ordinaire de la technologie en art. En effet, machine et technologie
appartiennent d’abord au monde de l’utilité:
la machine est un outil, un adjuvant aux activités humaines.
Mais alors que l’utilisation de technologies modernes et
la mobilisation de savoirs scientifiques par l’artiste
peut tout à fait se comprendre comme technè artistique,
c’est à dire moyen en vue de la réalisation
de l’œuvre, Cloaca n’est pas un médium,
elle est l’œuvre elle-même. Dès lors,
une machine d’art apparaît comme un monstre logique:
qu’est ce en effet qu’une machine qui ne sert à rien
?
- Cloaca, avec certaines des Métamatics de
Tinguely, est une des rares machines productives de l’histoire de l’art:
elle produit des étrons en série ; pas de manière
industrielle toutefois, mais au rythme biologique ralenti de
la digestion humaine.
Ce produit est cependant un anti-produit ; il serait plutôt
un résidu de production, si l’on considère
le corps humain comme une machine qui consomme le carburant alimentaire
nécessaire à son fonctionnement et qui rejette
ce qu’elle ne peut assimiler. Dans le cas de Cloaca, l’excrément
n’est nullement un produit résiduel, il est la fin
en soi de la production. Cloaca n’assimile pas les aliments
qu’on lui donne, elle ne les transforme pas en une énergie
vouée à autre chose, elle se contente d’excréter:
elle transforme même l’utile, l’alimentaire
en inutile, l’excrément. Cette dimension gaspillatoire se
voit encore accentuée dans la version lyonnaise de
l’exposition, les aliments donnés à Cloaca étant
préparés par les grands noms de la gastronomie
française.