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LE MARCHE DE L'ART
  L'art, l'argent, la merde
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  Wim Delvoye en chiffres
   







__Piero Manzoni - Merda d’artista n° 034 et n°035, 1965

 

 

 
  L'art, l'argent, la merde
 

 

« Arrhe est à Art ce que merdre est à merde »
Marcel Duchamp


Parlons net: ne retenir de l’oeuvre de Wim Delvoye que le paradigme « Cloaca-machine à merde » est une vision réductrice qui ne permet pas de comprendre la continuité de la démarche de l’artiste entre cette machine et d’autres pièces n’apparaissant pas comme scatologiques ou moins directement, telles que les cochons tatoués, les vitraux X-ray, les pelles décorées ou les engins de construction ouvragés. En fait, Cloaca dit, à sa manière ce que d’autres œuvres de Wim Delvoye expriment à travers des langages différents. Or, la question de l’argent - de l’art comme circuit économique, de l’art comme marché, est au centre de la réflexion de l’art sur lui-même ; à ce titre, la «
merda d’artista », proposée au public par Manzoni en 1961, s’impose comme une référence incontournable.
Cependant, Wim Delvoye va bien plus loin encore que Manzoni dans le questionnement des liens entre l’art et l’argent – c’est à dire aussi, dans la quête alchimique qui consiste à transformer la merde en or: il a substitué à la boîte de conserve opaque, un emballage en plastique transparent, façon saucisse Herta, qui laisse voir son contenu dans toute sa réalité ; ainsi, il met à nu, déplace et radicalise ce que Manzoni avait dit symboliquement, à savoir l’équation entre l’art, la merde et l’argent.
Manzoni avait en effet décrété que la merde d’artiste se vendait au poids et suivant le cours de l’or. Or, la commercialisation de la merde comme œuvre d’art est bien plus qu’un geste de dérision ; en effet, en 61, les théories psychanalytiques étaient largement répandues : pour
Freud, les excréments constituent le premier cadeau que fait l’enfant à ses proches ; et la fascination de l’enfant pour son caca, si elle est vite réprimée par l’éducation, ne s’en trouve pas moins déplacée dans bon nombre de cas vers des objets au caractère moins offensant, parmi lesquels au premier chef, l’argent.
L’introduction de la merde en art – au delà de sa représentation, fréquente dans la
peinture de genre, permettait donc de souligner l’aspect fétichiste de l’œuvre, et invitait à réfléchir sur la notion de sa valeur. Mais dans le cas de Manzoni, l’œuvre s’intitule « Merde d’artiste », et l’opération qui aurait permis sa production (si elle avait été réelle) aurait été l’exercice d’une fonction naturelle ; tandis que chez Wim Delvoye, le titre « Cloaca » renvoie à un univers neutre, à une machine dûment construite, qui, in fine, produit effectivement de la merde. Chez l’un, l’artiste vend « sa » merde ; chez l’autre, il délègue sa fabrication à un tiers artificiel, et vend le spectacle de cette fabrication, et son produit.