Si la machine de Wim Delvoye
a pour aïeules
les machines volantes de Léonard de Vinci, elle a pour
aussi pour cousines les rotatives de
Duchamp: il s’agit
de disques sur lesquels sont tracées des figures circulaires
et qui, mis en mouvement, créent des effets d’illusion
optique. Mais ici, la proximité de Wim Delvoye avec Duchamp
réside moins dans la question de l’optique que dans
la démarche par laquelle l’artiste se rapporte à la
science.
En effet, Duchamp s’intéressait à l’optique
en tant qu’elle faisait partie de ces « sciences
amusantes » , au même
titre que les probabilités
qui lui inspirèrent un système
de pari à la roulette qui devait permettre de gagner à chaque
fois. Comme Duchamp, Wim Delvoye est de ces artistes pour qui
l’esprit ludique est un ingrédient à part
entière du processus de création: « je suis
comme un enfant » avoue Wim Delvoye quand il nous parle
de la manière dont sont élaborés ses radiographies
; d’une certaine façon, dit-il, l’art, « c’est
du mécano ». Il s’agit d’entreprendre
des œuvres difficiles à réaliser, pour lesquelles
il faut inventer des solutions. Wim Delvoye raconte ainsi avec
délectation comment il a surmonté les obstacles
rencontrés dans la réalisation de certaines de
ses œuvres. - Dans ses radiographies, par exemple, pour
rendre visibles certaines parties du corps normalement invisibles
aux rayons X , notamment le pénis, organe dépourvu
d’os, il a ainsi eu l’idée de les badigeonner
de crème nivéa mélangée avec du barium
de sulfate, substance utilisée en radiographie pour rendre
certains organes visibles à la radio !...
Faire avec la science et la technologie, donc, mais avant tout – faire
avec humour. Les œuvres de Wim Delvoye sont d’abord
un discours contre toute tentation de se prendre au sérieux.
Par là, ses créations technologiques les plus sophistiquées,
vitraux ou Cloaca, rejoignent les bricolages les plus explicitement,
les plus immédiatement drôlatiques – des nichoirs
sado-maso, aux cochons tatoués.
De ce point de vue, s’il fallait chercher une parenté au
travail de Wim Delvoye dans l’art moderne et contemporain,
c’est sans doute du côté de Dada, ou de Fluxus
qu’il faudrait se tourner. Mais plus besoin désormais
de mettre des moustaches à la Joconde, ni de l’envoyer
dans l’escalier – les artistes du siècle dernier
s’en sont chargés.
Cependant il y a, comme alors,
une bonne dose d’iconoclasme dans son humour, volontiers
corrosif : de l’emphase « Land-art » amplifiant
des informations triviales (- « les lasagnes sont au frigo »,
sur muraille géante), ou de l’anal Kiss, qui rejoue
l’empreinte corporelle (moins le lyrisme, ou l’esthétisme
des Grandes Anthropomorphies), au Saint-Etienne gardien de but
( placé là, sans aucun doute, pour exciter notre
désir d’exécuter une bonne fois pour toutes
cette agaçante figure de martyre – d’exploser
le précieux et fragile vitrail) - c’est à chaque
fois un monde – au sens où N.Goodman parle de l’art
comme art de faire des mondes – qui en prend pour son grade.
Rigolo, donc, l’humour de Wim Delvoye , mais pas juste
pour rire ; pas inoffensif du tout. Dans ce sens, la machine
Cloaca comme chef d’œuvre deWim Delvoye ( - qui ne
refuse pas – avec l’humour qui convient – cette
appellation -), c’est aussi, plus que l’art pour
lard, ou l’arrhe ; c’est une gigantesque métaphore
ironique sur ce que c’est que faire de l’art. Et
si nous (sou)rions, (jaune), devant de telles œuvres qui
agissent dans l’humour et la dérision, c’est
peut-être tout simplement parce que ici, sans doute, le
roi est nu.