Par ses liens de parenté avec
l'univers médical et scientifique, l’oeuvre
de Wim Delvoye interroge le rapport de l'être humain à l'espace — à différentes échelles
(cartes, télescopes)
-, à son corps et à celui
de l'autre (vitraux,
cochons, animaux
naturalisés),
et au monde en général- à travers, notamment,
la thématique de l'ingestion-excrétion (Cloaca).
Là encore, il y a filiation par rapport à une
conception ancienne de l'artiste et de son rôle : c'est
le contraire d'un art abstrait, détaché du
monde et imperméable à la
connaissance. Les oeuvres de Wim Delvoye nous donnent à voir, à sentir
(et éventuellement à penser) la façon
dont nous sommes au monde. Cette préoccupation est
perceptible dans l'utilisation de l'art du vitrail, où symétrie
et harmonie sont chargées de sens, et représentent
un certain ordre du monde. Traditionnellement, l'art du vitrail,
par la hiérarchie des éléments qui le
composent, la profusion des formes courbes, élaborées à l'aide
de concepts mathématiques avancés, exprime
les notions dynamiques d'espace et de force, dans une perspective
cosmologique.
On peut également penser à l’usage que
fait Wim Delvoye des télescopes, dans Rose des vents:
leurs deux extrémités correspondent à une
bouche et un anus — manifestation de notre rapport
physique à l'univers, à l'infiniment grand,
qui rappelle curieusement l'homme zodiacal.
Ce dernier représente
le cosmos comme intégralement englouti par un homme
gigantesque, un homme total à travers le corps duquel
transitent les astres. De même, chez Wim Delvoye, l'univers
est littéralement avalé et déféqué par
le personnage à l'intérieur duquel est fiché le
télescope. Les diverses occurrences de l'anus dans
l'oeuvre de Wim Delvoye (anal kiss,
cloaca,
télescopes,
vitraux) s'expliquent par une volonté de l'artiste
de donner à ses oeuvres une certaine universalité : " l'anus
est ce que nous partageons tous ". L'oeuvre de Wim Delvoye
est donc porteuse d'une perspective totalisante.
De même, on peut penser aux mosaïques qui
dans l'art islamique représentent l'ordre du monde. Comme
les vitraux, les mosaïques participent d'un vaste programme
visuel s'étendant sur plusieurs siècles, intimement
lié aux cosmologies religieuses. Wim Delvoye s'approprie
ces traditions pour les détourner avec une ironie
certaine, mais ses oeuvres n'en portent pas moins la marque
de la visée cosmologique qui habite ces anciennes
techniques.
Ainsi, l'émulsion art-artisanat-science implique et
explique la présence, dans les oeuvres de Wim Delvoye,
d'une certaine fascination pour le gigantesque (" si
la statue de la liberté est devenue icône, c'est
parce qu'elle est géante "), le cosmique, l'ordre
du monde, et le rapport que l'homme (essentiellement son
corps) entretient avec cet univers. Dans un certain nombre
de ses oeuvres, la question du rapport entre macrocosme et
microcosme se révèle d’ailleurs centrale.
Or, elle appartient à diverses traditions populaires
remarquablement anciennes.