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Wim Delvoye est-il un cynique?  
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  Wim Delvoye et le technè antique
  Wim Delvoye, la Renaissance et les Lumières
  L'artiste et le scientifique



___Wim Delvoye - Map #3, 1999


___L'homme zodiacal - Perse, XVIe siècle

 

 
  L'artiste et le scientifique
 

Par ses liens de parenté avec l'univers médical et scientifique, l’oeuvre de Wim Delvoye interroge le rapport de l'être humain à l'espace — à différentes échelles (cartes, télescopes) -, à son corps et à celui de l'autre (vitraux, cochons, animaux naturalisés), et au monde en général- à travers, notamment, la thématique de l'ingestion-excrétion (Cloaca). Là encore, il y a filiation par rapport à une conception ancienne de l'artiste et de son rôle : c'est le contraire d'un art abstrait, détaché du monde et imperméable à la connaissance. Les oeuvres de Wim Delvoye nous donnent à voir, à sentir (et éventuellement à penser) la façon dont nous sommes au monde. Cette préoccupation est perceptible dans l'utilisation de l'art du vitrail, où symétrie et harmonie sont chargées de sens, et représentent un certain ordre du monde. Traditionnellement, l'art du vitrail, par la hiérarchie des éléments qui le composent, la profusion des formes courbes, élaborées à l'aide de concepts mathématiques avancés, exprime les notions dynamiques d'espace et de force, dans une perspective cosmologique.

On peut également penser à l’usage que fait Wim Delvoye des télescopes, dans Rose des vents: leurs deux extrémités correspondent à une bouche et un anus — manifestation de notre rapport physique à l'univers, à l'infiniment grand, qui rappelle curieusement
l'homme zodiacal. Ce dernier représente le cosmos comme intégralement englouti par un homme gigantesque, un homme total à travers le corps duquel transitent les astres. De même, chez Wim Delvoye, l'univers est littéralement avalé et déféqué par le personnage à l'intérieur duquel est fiché le télescope. Les diverses occurrences de l'anus dans l'oeuvre de Wim Delvoye (anal kiss, cloaca, télescopes, vitraux) s'expliquent par une volonté de l'artiste de donner à ses oeuvres une certaine universalité : " l'anus est ce que nous partageons tous ". L'oeuvre de Wim Delvoye est donc porteuse d'une perspective totalisante.

De même, on peut penser aux
mosaïques qui dans l'art islamique représentent l'ordre du monde. Comme les vitraux, les mosaïques participent d'un vaste programme visuel s'étendant sur plusieurs siècles, intimement lié aux cosmologies religieuses. Wim Delvoye s'approprie ces traditions pour les détourner avec une ironie certaine, mais ses oeuvres n'en portent pas moins la marque de la visée cosmologique qui habite ces anciennes techniques.

Ainsi, l'émulsion art-artisanat-science implique et explique la présence, dans les oeuvres de Wim Delvoye, d'une certaine fascination pour le gigantesque (" si la statue de la liberté est devenue icône, c'est parce qu'elle est géante "), le cosmique, l'ordre du monde, et le rapport que l'homme (essentiellement son corps) entretient avec cet univers. Dans un certain nombre de ses oeuvres, la question du rapport entre macrocosme et microcosme se révèle d’ailleurs centrale. Or, elle appartient à diverses traditions populaires remarquablement anciennes.