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Chemin de la Visitation

Fosses et des trous de poteaux augustéens
coupant l’horizon protohistorique
Adresse : 23 rue Roger Radisson, 69005 Lyon

Période(s) d'occupation: Protohistoire, Antiquité

Opération : fouille préventive

Dates de l'opération: février - mars 2015

Opérateur : Service archéologique de la Ville de Lyon

Aménageur : Ville de Lyon


La fouille du « Chemin de la Visitation », malgré son interruption, a permis d’apporter de nouveaux éléments de réflexion sur l’urbanisme antique de Lyon et son évolution dans le temps. En outre, cette opération permet également de compléter nos connaissances sur l’occupation protohistorique de la colline de Fourvière, qui viennent d’être enrichies par la découverte récente d’un murus gallicus.

Les apports pour la période protohistorique

Les niveaux et les structures protohistoriques ayant été perçus uniquement en coupe, les apports de la fouille restent limités. Cependant, l’opération archéologique du « Chemin de la Visitation » permet de confirmer la présence d’un niveau anthropisé protohistorique qui paraît bien conservé sur la terrasse haute du site. Cette couche semble abriter, outre du mobilier LT D, des éléments plus anciens qui, à l’image de la découverte faite sous le murus gallicus de la rue Abbé Larue, pourraient se rapporter à des horizons Néolithique final/Bronze ancien et/ou Bronze final.

Un lot limité mais homogène d’amphores vinaires provient d’un creusement dont il est difficile, seulement en coupe, de définir la nature : fossé ou fosse. Cependant, ce négatif pourrait correspondre à un fossé en V, d’axe nord/sud, participant à la délimitation d’un parcellaire ou d’un enclos. Il pourrait rejoindre les nombreuses structures du même type déjà mises au jour sur la colline de Fourvière : fossés du Verbe Incarné, du Lycée Saint-Just, de l’Hôpital Sainte-Croix. Le fait que la structure fossoyée ne se prolonge pas dans le sondage, ou dans la coupe sud de celui-ci, pourrait indiquer qu’il s’agit d’une fosse mais on peut également être en présence de l’interruption d’un fossé (une entrée ?). La particularité de ce nouveau tronçon de fossé réside dans sa chronologie. En effet, les structures évoquées plus haut présentent toutes une chronologie centrée sur La Tène D1b- LT D2 (fin IIe début Ier s. av. J.-C. et Ier s. av. J.-C.). Le lot de mobilier du site de « La Visitation », certes limité, présente quant à lui une chronologie plus ancienne contemporaine des vestiges mis au jour dans la plaine de Vaise (rue du Souvenir, rue Marietton et rue du Mont d’Or), soit de LT D1a.

Les amphores du fossé (ou de la fosse ?) F62 ne constituent pas un lot statistiquement suffisant pour une datation définitive. Il peut cependant être comparé aux contextes déjà étudiés à Lyon. Ainsi, les fossés de la rue du Souvenir et de la rue Marietton, datés des années 150-125 av. J.-C., sont caractérisés par l’absence totale d’amphore Dressel 1B. Ils intègrent 40 à 50 % d’amphores gréco-italiques. A contrario, les contextes plus récents du Lycée Saint-Just, de Saint-Vincent ou de l’Hôpital Sainte-Croix livrent une proportion significative d’amphores Dressel 1B (entre 29 et 36 %). On peut donc proposer, avec prudence vu la taille de l’échantillon, une datation entre les années 140 et 120 av. J.-C. pour le lot d’amphores républicaines de la Visitation.

Par sa chronologie, cette nouvelle découverte vient quelque peu bouleverser le schéma évolutif que l’on pouvait dresser de l’occupation laténienne sur le territoire lyonnais. En effet, les découvertes du site de la Visitation attestent, sur la colline, d’une occupation contemporaine de la résidence aristocratique identifiée dans la plaine de Vaise. L’enjeu des fouilles et des recherches à venir sur ce secteur de la colline de Fourvière sera de confirmer la chronologie de cette occupation et de préciser sa nature.

Les apports pour la période antique

Les niveaux rattachés à la période antique permettent de discerner cinq états d’occupation entre 10 av. J.-C. et 230 apr. J.-C. (cf. p. 50) que l’on retrouve sur les sites environnants (rue des Farges, Pseudo-sanctuaire de Cybèle et Clos de la Visitation). Les niveaux coloniaux précoces (40-20 av. J.-C.) mis en évidence sur les sites du Verbe Incarné, de Cybèle ou du Clos de la Visitation demeurent absents tout comme sur le site de la rue des Farges.

Les vestiges du « Chemin de la Visitation » s’intègrent visiblement à une série de terrasses déjà observée notamment sur le site voisin du « Clos de la Visitation » (Clément 2016), où un large mur orienté est/ouest délimite deux terrasses présentant un dénivelé d’un mètre (terrasse nord à 297 m NGF et terrasse sud à 296 m NGF). Sur le site du « Chemin de la Visitation », un mur axé est/ouest, largement détruit par une tranchée de récupération, délimite une rupture altimétrique entre les vestiges localisés au nord et ceux situés au sud. Tout porte à croire que le mur 109 a matérialisé une limite entre deux terrasses et confirme l’existence d’une série de terrasses, axées est/ouest, s’étendant vers le sud depuis le Clos de la Visitation. Le premier état d’occupation antique (phase 2, état 1) observé sur la fouille ne concerne que la terrasse haute (terrasse nord) où des négatifs de poteaux et de sablières basses, associés à des sols, attestent de constructions (habitats ?) en bois et en terre, vers 10 av. - 10 apr. J.-C. L’arrêt de l’opération archéologique n’a pas permis de vérifier la présence de ces niveaux sur la terrasse basse (terrasse sud).

Etats 1 et 2 de l'occupation

L’orientation des vestiges, nord 4° à 9°ouest, établie dès l’état augustéen (état 1), ne connaît aucun changement lors des reconstructions successives : elle perdurera tout au long de l’occupation. Elle correspond à la trame urbaine C de Lyon, identifiée sur une partie des vestiges de la rue des Farges (175 m au sud-est), sur le site du clos de la Visitation (100 m au nord-ouest) et sur les fouilles anciennes du clos des Minimes (50 m à l’est).

Dans l’état de nos connaissances, il semble qu’une occupation à vocation domestique se soit développée sur la terrasse nord, avec l’implantation d’un bâtiment construit sur fondations et solins maçonnés en blocs de granite (mur MR 30, Bâtiment n°3), vers 30-70 apr. J.-C. (état 2). Dans le même temps, la terrasse sud ne semble occupée1 que par un grand bâtiment de près de 11 m de large reconnu sur 6,90 m de long. La largeur des murs (0,80 m), les dimensions reconnues du bâtiment, la largeur de sa porte (2,65 m) et la taille du bloc de seuil
laissent présumer d’une certaine monumentalité du Bâtiment n°1, pour lequel on envisage un statut et une fonction relevant du domaine public. La terrasse basse semble donc occupée, dès l’époque tibéro-claudienne, par un important bâtiment orienté nord 4°ouest sans doute à vocation publique, qui perdurera jusque vers 175-200 apr. J.-C. On retrouve cette mixité entre espace public et espace domestique sur plusieurs sites environnants : la rue des Farges (thermes publics), le clos de la Visitation (édifice monumental ?) ou le pseudo-sanctuaire de Cybèle (prétoire, sanctuaire ?). Dans le cas de l’opération du chemin de la Visitation, il reste à déterminer la nature exacte de ce bâtiment public. Si le bâtiment semble avoir perduré pendant près de deux siècles, on peut se demander s’il en a été de même pour sa fonction ? À environ 50 m à l’ouest de la fouille, la découverte sous les pavillons des Télégraphes, en 1846 et 1848, d’au moins trois autels dédicacés à Mercure Auguste et Gaia Auguste peut fournir un indice concernant l’identification du Bâtiment 1. En effet, le dédicant Marcus Herennicus Albanus, qui a consacré ces autels, a également fait élever un temple sur l’espace public afin d’accueillir les autels et les statues de Mercure et Gaia ainsi qu’une « image » de Tibère Auguste. On peut donc légitimement s’interroger sur les liens qui peuvent exister entre cette découverte ancienne et notre bâtiment, même si aucun élément ne permet de les relier. L’architecture et le plan incomplet du bâtiment ne permettent pas de proposer d’identification ; cependant, les particularités de certains mobiliers notamment métalliques peuvent fournir quelques pistes de réflexion. Ainsi, la présence sur le sol de terrazzo de nombreux fragments de tôles rectangulaires en fer, comportant les traces d’un support en bois et des clous de fixation de petites tailles, peuvent attester la présence de menuiseries ou d’ameublements renforcés d’éléments métalliques qui auraient équipé ce bâtiment : étagères, rayonnages, caisses ou coffres, banquettes ? De même, les deux négatifs F113 et F245, pourraient marquer les emplacements de deux escaliers parallèles menant à un étage ou une galerie périphérique.

Etat 3

A l’état 3 (vers 80-120 apr. J.-C.), les vestiges présents sur la terrasse nord conservent une vocation domestique avec la reconstruction d’une domus (Bâtiment 3). Cependant, la terrasse nord paraît connaître un profond remaniement. Le Bâtiment n°3, qui semblait se développer à l’est du mur MR30 à l’état 1, est reconstruit à l’ouest de celui-ci à l’état 2, pour laisser place à un espace de circulation (voirie ou courette ?) bordé à l’est par un collecteur d’eaux usées. La construction de cet aménagement public, contemporain de la reconstruction du Bâtiment n°3, est peut-être la cause de la restructuration de la terrasse nord. La domus, dont seulement 4 pièces ont été partiellement reconnues, apparaît modeste au regard de la qualité des sols et des dimensions des pièces.

La terrasse sud paraît également connaître un certain bouleversement. Le bâtiment public (Bâtiment n°1) semble persister et un corps de bâtiment en L (Bâtiment n°2) se développe à l’ouest et au nord de celui-ci. L’abandon de la fouille n’a pas permis de déterminer si le Bâtiment n°2 reprend une construction plus ancienne ou s’il s’agit d’une construction nouvelle. Dans l’état actuel des connaissances, aucun élément ne permet de proposer une identification ou une fonction au Bâtiment n°2 : vocation domestique, artisanale ou autre ? Selon toute vraisemblance l’espace ouvert I doit déjà exister à l’état 3 mais rien ne permet de le déceler.


Etat 4

Les traces de l’occupation à l’état 4 sont essentiellement matérielles, que ce soit sur la terrasse nord ou la terrasse sud (remblais comportant un abondant mobilier). Les vestiges ou les maçonneries clairement attachés à cette phase chronologique demeurent rares et mal définis. Ce fait n’a rien d’étonnant vu les nombreuses spoliations subies par le site après son abandon, qui ont particulièrement détruit les vestiges de la phase la plus récente.

Ainsi, sur la terrasse nord, un bouchage de porte (F338) dans le mur MR29, un caniveau maçonné (F35) et une tranchée de canalisation (F263) constituent les seules structures que l’on puisse relier à l’état 4. Pour le même état, l’occupation de la terrasse sud est principalement marquée par un espace de circulation extérieur (espace I) aménagé entre l’aile orientale du Bâtiment n°2 et le Bâtiment public n°1, dont il atteste encore du fonctionnement. Un négatif de caniveau, sans doute en bois et parallèle au mur MR 189, est également associé à l’espace I. L’abondant mobilier céramique daté vers 175-200 apr. J.-C., présent dans le niveau de sol et dans le caniveau, est accompagné d’un lot de matériel métallique particulier. En effet, il révèle une forte proportion d’objets en lien avec le domaine militaire et notamment avec l’armement offensif. La fouille voisine de la rue des Farges offrait déjà une telle abondance, mais elle était issue principalement de remblais et/ou de dépotoirs datés dans la première moitié du IIIe siècle. Ce type d’assemblage de mobilier, présent sur le site de la Visitation dans des niveaux daté vers 175-200 apr. J.-C., est assez rare en fouille et suscite plusieurs questions : quel lien peut-on avoir avec la bataille de 197 ? Quel lien peut–on envisager avec le bâtiment n° 1 ? Quelles interprétations peut-on faire de la présence de ce lot de militaria ?

Au moins quatre hypothèses pourraient être envisagées, mais elles ne sont pas toutes convaincantes. La première et la plus simple serait de voir dans ce mobilier les reliquats d’une production artisanale localisée dans l’un des bâtiments environnant l’espace I. Cependant, la variété des catégories d’objets (armement offensif et défensif, objets du domaine domestique ou social…) et l’absence de fabricats, de ratés ou de chutes pouvant correspondre à une chaîne opératoire de confection semblent exclure l’identification d’un lot de mobilier lié à une production in situ.

Les militaria collectés sur la terrasse basse du site pourraient également indiquer l’existence d’un lieu destiné au stockage d’armes, dans l’un des bâtiments encadrant l’espace I, qui auraient été abandonnées sur place. Il faut d’ailleurs rappeler le probable passage du rempart augustéen une vingtaine de mètres au sud de la fouille. Par son architecture le Bâtiment n°1 apparaît comme le lieu approprié à un tel entreposage et la présence sur son sol de centaines de fragments de tôles de fer pouvant se rapporter à des renforts de caisses ou de rayonnages renforce cette hypothèse. La présence de ces lieux de stockage d’armes en contexte de camp militaire est bien attestée notamment sur une tablette de Vindonissa mentionnant un armamentaria. D’un point de vue archéologique, deux sites majeurs paraissent fournir les indices tangibles de leur existence : le camp de Carnuntum en Pannonie et le camp de Caerleon en Grande-Bretagne. Sur les deux sites, d’imposants bâtiments en pierre livrent des grandes quantités d’armes constituées notamment de traits d’artillerie, de pointes de flèches et d’éléments d’arcs, de pila, de lances, de tribuli, ou encore de cottes de mailles, de cuirasses et de casques. Il faut signaler que l’on retrouve quasiment les mêmes types de militaria sur le site de la Visitation que sur ces lieux de stockage avérés. Mais en
contextes urbains accueillant des unités militaires (Cohorte urbaine), il est plus délicat d’attester et d’identifier de telles structures. Cependant, certains passages de Tacite2 relatent l’existence de tels entrepôts à Rome ou à Ostie et la proximité du statut des garnisons d’Ostie et de Lugdunum au début du Haut-Empire a déjà été soulignée par les travaux de Fr. Bérard . Pour M. Bishop, il est probable que chaque grande ville de l’empire ait possédé son armurerie, utilisée par les troupes en stationnement en cas de trouble. Mais alors pourquoi le lot d’armes de la Visitation provient-il d’un espace extérieur (courette ou voirie) et non des bâtiments attenants ?

Cela amène une troisième supposition concernant l’origine du lot de militaria. Ce mobilier pourrait être lié à un événement violent et correspondre à un épisode de siège ou de combat urbain. Le contexte chronologique dont est issu le matériel (vers 175-200 apr. J.-C.) pousse tout naturellement à le relier à la bataille de Lyon en 197. Si la bataille qui opposa les partisans d’Albinus et les troupes de Septime-Sévère semble avoir eu lieu en périphérie de
la ville, on sait que l’armée de Septime-Sévère a poursuivi les vaincus jusque dans la cité et que Lyon fut livrée au pillage. Le mobilier mis au jour sur la fouille pourrait donc correspondre à une échauffourée, une escarmouche, entre les deux parties après la bataille principale, ou au siège d’un bâtiment abritant des soldats retranchés, vu le type de mobilier (armes de jet et projectiles). Mais l’état du matériel, sans exclure cette hypothèse, ne la confirme pas non plus. Ainsi, une seule pointe de flèche pourrait avoir été tordue à la suite d’un impact ; de même, il n’est pas certain que l’état des pointes de projectiles d’artillerie (pointe émoussée et soie systématiquement brisée) soit lié à leur utilisation.

Une dernière conjecture expliquant la présence d’un tel mobilier militaire sur le site peut être formulée en associant les deux précédentes théories. Ces militaria pourraient être le reliquat d’un matériel stocké dans l’un des bâtiments mitoyens de l’espace I, partiellement pillé et/ou détruit lors du sac de la ville qui suivit la bataille de 197. Mais aucune trace d’événement violent, de type incendie, n’a pu être identifiée. Les armes (principalement de jet) peuvent également avoir été sorties du bâtiment afin d’être détruites sur l’espace ouvert I, par les troupes qui en avaient la garde, afin que celles-ci ne tombent pas aux mains de l’ennemi.

Mais doit-on absolument relier ce mobilier à la bataille de Lyon et/ou au pillage qui s’en suivit ? L’association du contexte chronologique et du matériel, si particulier, favorise naturellement un tel rapprochement et il est difficile d’expliquer autrement la présence d’un tel lot de militaria, en dehors d’un contexte de camp militaire.

L’abandon du site : état 5

Aucune trace de reconstruction postérieure à 175-200 apr. J.-C. n’a pu être identifiée. Les démolitions recouvrant les rares vestiges de l’état 4 comblent également plusieurs tranchées de spoliation. Les matériaux semblent donc faire l’objet d’une récupération rapidement après l’abandon. D’ailleurs, les couches de démolition, datées vers 200-230 apr. J.-C., apparaissent plus comme des remblais remaniés et sont liées à des rejets riches en mobilier que l’on peut identifier comme des dépotoirs, comblant notamment le bâtiment n°1 et la pièce F. Le site semble donc abandonné dès la fin du IIe siècle et semble servir de carrière et/ou de décharge. Ce phénomène est bien connu et identifié sur la colline de Fourvière où plusieurs secteurs de la ville haute semblent abandonnés approximativement à la même date, vers la fin du IIe et le tout début du IIIe siècle. On peut notamment citer la fouille de la rue des Farges ou celle plus récente de l’Antiquaille. Toutefois, il ne faut pas croire que l’ensemble de
la ville haute est abandonnée puisque quelques sites présentent des reconstructions et des vestiges de la fin du IIe et du IIIe siècle, comme sur le site du Verbe Incarné par exemple. De même, la qualité des mobiliers céramique ou métallique présents dans ces dépotoirs attestent la richesse de l’occupation encore présente sur la colline de Fourvière malgré les traces prégnantes d’abandon sur certains secteurs. Il faut donc rester prudent concernant le
basculement que l’on semble observer entre la ville haute (Fourvière) et la ville basse (Presqu’île). Si de florissantes domus se développent sur la Presqu’île entre la fin du IIe siècle et le début du IIIe siècle, la colline de Fourvière continue d’abriter une riche occupation associée à des édifices publics : ainsi, il ne faut pas oublier que le théâtre paraît faire l’objet d’une réfection sous Septime Sévère.