Cette hypothèse repose sur un malentendu : ce n’est
pas parce que Wim Delvoye travaille avec des matériaux,
des savoir-faire parfois issus de la culture populaire – ni
parce qu’il a le souci de la lisibilité de ses œuvres,
qui ne s’adressent pas au seul public restreint de l’art
contemporain, mais entendent, sinon toucher tous les publics,
du moins être compréhensibles par nombre d’entre
eux - que sa création est passible d’un tel jugement
esthétique – bien au contraire. Le kitsch était
décrit par C.Greenberg, significativement en 1939, comme
phénomène symétrique et contemporain des
avant-gardes : ce succédané de culture, destiné aux
publics populaires déculturés ( insensibles aux
valeurs culturelles, mais avides de divertissement), aurait d’abord été un
art de détournement de la tradition culturelle et artistique,
et un formidable dispositif de propagande instrumentalisé par
les régimes totalitaires – justement parce qu’il
permettait l’expression et la communication efficace de
messages idéologiques simples.
Si certaines des procédures de production de l’oeuvre
de Wim Delvoye (et de tant d’autres artistes depuis un
demi-siècle) sont communes à celles des objets
kitsch – les uns comme les autres pouvant être fabriqués
mécaniquement, par exemple - et si le détournement est bien une figure rhétorique centrale de la création
de Wim Delvoye, - comme de celle de tant d’autres – les
objectifs artistiques, les effets de sens et la relation au spectateur
sont radicalement opposés : le kitsch détourne
pour répéter en édulcorant, en vidant de
son sens une forme, une création ; Wim Delvoye détourne
pour inventer, pour produire un effet de sens inédit,
dérangeant, ou stimulant. Le kitsch prédigère, évite
tout effort au spectateur ; Wim Delvoye le met violemment à contribution.
« Tout ce qui est kitsch est académique et inversement,
tout ce qui est académique est kitsch » écrivait
encore Greenberg ; Wim Delvoye donne à voir, matérialise
en quelque sorte la vérité, l’actualité de
cet axiome : il incorpore, en les déplaçant, des éléments
du vocabulaire académique ( - peinture, matières,
belle ouvrage…), de la culture populaire (tatouage, taxidermie,
bricolage), et des procédures kitsch (formules, détournement)
dans des œuvres à visée résolument
non-conformiste. Wim Delvoye n’est pas kitsch ; mais son
travail, comparable en cela à celui de certains artistes
pop, par une utilisation et une mise en visibilité des
procédures et des effets du kitsch, invite le spectateur à interroger
le rapport des cultures artistiques, savantes et populaires,
ainsi que la pertinence de son jugement de goût.