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LE MARCHE DE L'ART
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___Piero Manzoni - Fiato d'artista, 1960

 

 

 
  La valeur de l'art
 

 

Duchamp avait coutume de signer les quelques ready made qu’on lui présentait, pourvu qu’ils lui aient semblé conformes aux originaux; il s’agissait pour lui de déconstruire les notions mêmes d’œuvre d’art et de valeur artistique. Manzoni lui aussi signait, mais à tour de bras, de nombreux objets comme son propre souffle (Souffle d’artiste, 1960), ses empreintes digitales, d’autres corps, par exemple ceux de collègues et amis ; sa démarche était très différente de celle de Duchamp: il s’agissait moins de nier la valeur de l’art que de traduire la collision produite entre valeur esthétique et valeur d’échange.

Derrière la réflexion sur la valeur de l’œuvre d’art se cache en effet la question du pouvoir de la signature - pouvoir explicitement saisi comme magique dans une œuvre de Manzoni de 1961: deux socles portant sur le dessus deux empreintes de pieds indiquaient au candidat à l’œuvre d’art comment il devait se placer ; ils étaient pourvus de plaques sur lesquelles figuraient respectivement l’inscription « PIERO MANZONI Scultura vivente », et une inscription en danois stipulant que « quiconque se tient là est de l’art ». Cette mise en scène par Manzoni de sa propre signature constituait un examen du rapport de l’artiste à ses propres moyens de production ; elle opèrait une démystification de la croyance moderniste qui voulait que l’activité de l’artiste soit du travail non-aliéné. Manzoni prenait acte du fait que l’objet esthétique, et par extension l’artiste célèbre, était devenu, comme tout dans l’économie capitaliste d’après guerre, une marchandise réïfiée.

Cette réflexion sur la valeur de l’art fait converger les notions freudienne et marxiste du fétichisme. Pour Marx, le statut de fétiche de la marchandise tient à la subordination des hommes aux produits de leur labeur, qui acquièrent des qualités abstraites et magiques apparemment indépendantes. En tant que fétiche, l’objet d’art devenu marchandise, ici exemplairement représenté par la Merde d’artiste, prend une valeur qui dépasse de loin sa réalité matérielle.