De même que certains ont eu pour mot d’ordre « le
retour à la chose même », il s’agit
pour Wim Delvoye de d’abord « poser notre
anus par terre » - ce qui dans une large mesure a moins à voir
avec l’anus proprement dit qu’avec ce que l’anus
peut représenter , mais que nos sociétés
occultent, à savoir son caractère de plus petit
dénominateur commun de l’humain ; (c’est à dire
modestement, mais sûrement humain).
C’est donc ici, non pas de scatologie, mais d’une
certaine forme d’humanisme qu’il est question.
La
volonté de voir à l’intérieur
du corps à l’œuvre dans le travail de Wim Delvoye,
manifeste dans l’usage des savoirs et techniques scientifiques
comme la chimie et la radiographie, va de pair avec une volonté de
comprendre le vivant, et une certaine forme de célébration
de son dynamisme. Le métabolisme, par exemple, n’est
rien d’autre qu’une lutte perpétuelle contre
la mort. Dès lors, la considération du corps dans
sa dimension biologique, sa représentation dans l’exercice
de ses fonctions vitales relève d’un projet qu’on
peut qualifier d’humaniste.
« L’anus, c’est ce que nous avons tous en commun » déclare
Wim Delvoye quand on lui demande la raison du caractère récurrent
de ce motif dans son œuvre. Il désigne en effet quelque chose d’universel,
un peu comme le sexe, quelque chose qui nous parle de la condition humaine. Duchamp
disait de l’érotisme: « je crois beaucoup à l’érotisme,
parce que c’est vraiment une chose assez générale dans le
monde entier, une chose que les gens comprennent.» Mais il y a un degré supérieur
de généralité dans l’anus: alors que la dimension
sexuelle du corps bascule très facilement dans l’affirmation d’un
genre, c’est le cas par exemple dans les travaux de Gina Paine ou d’Annette
Messager, où il s’agit avant tout du corps féminin, l’anus
est génériquement neutre en tant qu’orifice commun à tous
- ce qui ne signifie nullement qu’il échappe à l’érotisme.
Une œuvre comme Anal kiss,
série d’empreintes de sphincters
réalisées au rouge à lèvre, est bien du côté de
l’érotisme anal ; tandis que la Rose des vents évoque davantage
l’univers de la scatologie. L’anus se substitue au symbole phallique,
parce qu’il est plus polyvalent, il est à la jonction des phénomènes
majeurs de l’humain: l’érotisme, la digestion, la scatologie.
Cloaca est donc bien un geste anthropologique: parce qu’elle est un tube
digestif sans corps, sans signe distinctif, elle est l’anus le plus neutre,
l’anus universel.