___Wim Delvoye - Eddy, 1994/1997
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Boire,
manger, digérer, excréter |
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L’idée que
faire de l’art, c’est faire avec le corps – pas
seulement celui de l’artiste, mais aussi, celui des spectateurs – était
déjà présente dans des interventions telles
que celle d’Y. Klein : lors de la célèbre « Exposition
du Vide », le 28 avril 1958, en lieu et place d’œuvres à contempler,
il fit boire à ses invités le soir du vernissage
un cocktail bleu – qui les ferait pisser bleu le lendemain
: au delà du dispositif, l’œuvre était
- aussi dans le transit à travers le corps de ceux qui
la recevaient.
A ce titre, Cloaca, comme le cochon tatoué – bien
vivant - sont des anti « Still Life » - des vies
pas « still » du tout ; non pas des représentations de
l’acte de boire, de manger, ou d’excréter
(- fût-ce dans le dispositif contemporain de l’installation,
ou dans la photographie), mais la mise en branle de processus
organiques réels.
Un artiste comme Wim Delvoye ne pouvait
pas inventer une machine comme Cloaca sans
se tourner du côté de la diététique
et, in fine, de l’art culinaire ; il ne pouvait faire œuvre
des déchets de la digestion sans se soucier de fournir à la
machine une nourriture elle même fabriquée ; à ce
titre, la participation de Chefs à la performance
de Cloaca apparaît comme une forme d’achèvement,
d’accomplissement de processus qui font partie intégrante
du langage artistique de Wim Delvoye ( - ailleurs qu’à Lyon,
c’était l’artiste qui supervisait les repas
de la machine).
L’idée que l’art plastique avait peut être
beaucoup à apprendre de l’art culinaire avait déjà frappé quelqu’un
comme Spoerri, premier
artiste à être devenu cuisinier:
il inventa l’Eat-art, un art qui s’intéresse à tous
les phénomènes alimentaires et humains en rapport
avec la chaîne « aliments »-« préparation »-« ingestion »-« digestion » « nettoyage »-« déchets ».
Spoerri organisait de grands banquets au cours desquels des critiques
d’arts servaient à un grand nombre d’invités
des plats de sa conception. Les tables sur lesquelles on avait
festoyé étaient ensuite, dans leur état
final, transformées en tableaux-pièges. Remarquons
que ces banquets ne constituaient pas un simple moyen d’aboutir
aux tableaux qui en fixaient le résultat, mais qu’ils
constituaient en eux-mêmes un acte artistique. Il n’est
pas indifférent que, dans cette association de l’art
culinaire et de l’art plastique, Spoerri se soit attelé à rendre
comestibles toutes les matières organiques, et de préférence
ce qui est en général méprisé dans
notre culture: entrailles, sang, testicules, graisse. Le déchet
se trouve ainsi au début et à la fin de la chaîne
alimentaire.
Daniel Spoerri - Table Hammer,
1978 - "Verschlimmbessert
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