Roger Gorrindo : la calligraphie de la pierre à la page
« Enfant, j’étais attiré par les pierres gravées que tout flâneur pouvait encore admirer dans le cloître du palais Saint Pierre ou à l’entrée du Musée de Gadagne…Peut-être ont-elles décidé de ma vocation ». Après une formation de sculpteur et tailleur de pierre, Roger Gorrindo reçoit, à Saint Georges de Reneins, l’enseignement du meilleur des graveurs lapidaires français, Jean-Claude Lamborot, qui a laissé à Lyon et en France de nombreuses illustrations de son art.
Secrets de maîtres
« Lyon a été pour la gravure sur pierre une ville de référence, souligne Roger Gorrindo. Au Musée gallo-romain mais aussi dans les rues de Lyon l’on peut encore voir de nombreuses inscriptions qui constituent un remarquable catalogue de l’art lapidaire. Je citerais deux réalisations, toutes deux dues à Jean-Claude Lamborot :
la plaque dédiée au violoniste français Jean-Marie Leclerc au chevet de Saint Nizier, et celle, sur l’église Saint François, évoquant l’organiste Charles-Marie Widor, né à Lyon. »
Pour Roger Gorrindo, la gravure sur pierre et l’enseignement de J.C. Lamborot constituent l’ouverture sur la lettre gravée : « la pierre, le papier, la calligraphie, l’imprimerie : ces supports, ces techniques, sont complémentaires et interdépendants, explique-t-il. On est obligé pour progresser de passer de l’une à l’autre et souvent dans l’histoire de la communication graphique, on remarque que, lorsque l’une de ces pratiques est en crise, elle se tourne vers les autres pour se revivifier ».
Tout naturellement, Roger Gorrindo a donc expérimenté cet échange permanent de la page à la pierre et du marbre au calame en pratiquant la calligraphie latine, mettant ainsi à profit ses recherches personnelles en typographie, dessin de lettres et histoire de l’imprimerie.
Le bonheur d’écrire
Au Musée de l’imprimerie, Roger Gorrindo anime des ateliers pour les adolescents et les adultes. L’écriture, ici, ne déclenche aucun souvenir scolaire rébarbatif : c’est plutôt le plaisir de former des lettres harmonieuses dans un geste libéré, et plus tard, peut-être, de s’orienter vers une calligraphie plus créative, plus artistique.
« La calligraphie latine présente l’avantage de correspondre à notre culture et à notre civilisation. Quand j’en brosse rapidement l’histoire au début du cours, les participants comprennent que l’écriture suit l’actualité de son époque, qu’elle colle aux évolutions artistiques, politiques, sociologiques, commente Roger Gorrindo. La calligraphie latine correspond vraiment à un savoir qui est dans nos gènes, c’est pourquoi nous sommes tous capables de la pratiquer ».
La seconde étape d’un atelier de calligraphie latine, c’est la prise en main de l’outil, le calame, sorte de roseau taillé. Le calligraphe peut également utiliser un morceau de cagette, qui n’a peut-être pas une réserve d’encre suffisante pour de grands tracés mais permet d’accomplir des gestes souples et harmonieux. Le brou de noix dilué à l’eau permet d’obtenir l’encre, que l’on remplacera plus tard, lors de travaux artistiques, par l’encre ou encore l’aquarelle, le plus noble et le plus durable des colorants car stable à la lumière.
À cette étape de l’atelier, l’apprenti calligraphe est à même de faire sa première page d’écriture, et c’est un vrai bonheur que d’aligner les carolines et les onciales dans l’ambiance du scriptorium de jadis, avec une sérénité qui permet d’oublier le stress de la vie quotidienne. Lors d’une seconde étape, Roger Gorrindo emmènera ses élèves du mot à la phrase tout entière. Les apprentis calligraphes se pencheront alors sur la phrase sibylline qui contient toutes les lettres de l’alphabet et leur permet ainsi de se faire la main : « Portez ce vieux whisky au juge blond qui fume ».
« À la fin du stage, souligne Roger Gorrindo, les participants ont suffisamment de maîtrise pour réaliser des documents à usage personnel comme des menus, des indications de plan de table, des poèmes... ». Il est bien sûr possible d’utiliser ensuite des supports très variés, tels le cuir, le verre, la porcelaine, ou d’adapter l’écriture à la broderie ou à la tapisserie.
Le bonheur d’écrire
Certains amateurs de calligraphie n’hésitent pas à passer à la vitesse supérieure et poursuivent avec la gravure sur pierre. « Je forme à la gravure sur pierre des calligraphes qui veulent enrichir leur pratique. La pierre n’est pas plus difficile à travailler que le papier : avant de graver, on dessine, on corrige, on ne gravera qu’une fois ce dessin abouti. Alors que sur papier, on écrit à main levé, le geste doit être sûr et réussi du premier coup, mais il est vrai qu’on peut se permettre sur le papier des « erreurs » qui apporteront une touche d’humanité ou d’émotion ».
Artiste reconnu, Roger Gorrindo a participé de nombreuses rencontres sur la lettre, notamment Les rencontres de Bruges qui rassemblaient jusqu’en 2002 calligraphes et artistes. La disparition de cette manifestation laisse un vide non encore rempli dans l’univers de la lettre. Signe des temps sans doute : les collectivités pensent rarement à recourir au graveur sur pierre pour transmettre une information patrimoniale et l’on voit plus souvent des panneaux en plexi qu’une belle épigraphie. Comme c’est dommage : Jean-Claude Lamborot avait poussé une porte en son temps, que ses disciples tel Roger Gorrindo ont ensuite largement ouverte. Ne laissons pas s’affadir l’esprit qui souffle sur la pierre et sur la page.
Roger Gorrindo sera présent aux prochaines Journées du patrimoine et vous donnera toutes informations sur le déroulement des ateliers qu’il anime ; vous trouverez aussi les dates et les tarifs des ateliers dans la programme d’activités du Musée ou sur le site.