Un grand-père sculpteur sur bois, un oncle dessinateur sur soie, la vocation artistique de Marie Gorrindo était tracée depuis l’enfance. Sa passion pour le dessin et le modelage, sa rencontre avec son mari Roger Gorrindo, lui-même calligraphe, l’ont amenée vers l’art difficile et exigeant de l’enluminure, qu’elle pratique comme une méditation et qu’elle enseigne avec conviction depuis 1999 au Musée de l’imprimerie.
En 1975, Marie et Roger Gorrindo habitent Toulouse et suivent les cours de calligraphie du Scriptorium. « Calligraphier est indispensable pour pratiquer l’enluminure, qui est l’art du dessin et de l’ornementation de la lettre, souligne Marie Gorrindo. Mais il n’y a pas d’école d’enluminure. Il faut chercher les maîtres. »
Marie apprend auprès de plusieurs enlumineurs, dont Klaus-Peter Schäffel, artiste suisse-allemand réputé. Elle s’imprègne d’ouvrages de référence, comme L'Art d'enluminure, traité du XIVe siècle traduit du latin et commenté par Louis Dimier ou Il libro dell'arte de Cenino Ceninni (XIVe siècle) ; elle passe aussi beaucoup de temps dans les fonds anciens des bibliothèques.
« Il est difficile d’appliquer les conseils des anciens, explique-t-elle. D’abord parce que les enlumineurs ne révèlent pas leurs secrets d’ateliers, ensuite parce que les mots ne veulent plus dire la même chose. Nous n’avons plus le même système de mesure, certains traités sont teintés d’alchimie, certaines recettes sont fantaisistes : il faut savoir faire la part des choses. Et puis les plantes utilisées jadis comme colorants ont évolué avec l’agriculture moderne, les parchemins ne sont plus les mêmes qu’autrefois, les animaux sont moins gras. Il faut expérimenter vingt fois une recette pour arriver à une mise en œuvre satisfaisante des ingrédients, en ayant à l’esprit que certaines couleurs n’ont toujours pas été élucidées. »
L’enluminure dès le primaire
Au Musée de l’imprimerie où elle enseigne l’enluminure depuis plus de 10 ans, Marie Gorrindo accueille les primaires comme les adultes. Quel que soit l’âge, les ateliers commencent par un rappel de la définition de la lettre ornée, laquelle est dessinée et transformée pour offrir des pleins susceptibles d’être décorés.
La calligraphie, quant à elle, est plus rigoureuse et obéit à des règles plus strictes.
« Pour les plus jeunes, l’atelier d’enluminure est associé à l’atelier de gravure d’Éléonore Litim, souligne Marie Gorrindo. Les enfants exploitent le thème du bestiaire, ils dessinent, gravent, impriment et enluminent des lettres évoquant des animaux fabuleux. D’abord un peu sur la réserve au début de l’atelier, ils débordent vite d’enthousiasme : j’ai du mal à les arrêter. Tout simplement parce qu’ils s’amusent avec les lettres, souvent beaucoup plus qu’à l’école! »
Aux adultes, Marie raconte l’histoire de l’enluminure, qui plonge ses racines dans l’antiquité. Les Égyptiens, les Grecs, les Romains peignaient des lettrines ; cet art s’épanouira au VIe siècle en Irlande et sa facture est caractéristique : dessins géométriques, spirales et entrelacs sont utilisés pour les bordures et les lettres ornées, souvent de grande taille.
Sur le continent se développera l'enluminure mérovingienne, avec ses lettrines en forme d'animaux, de poissons, d’oiseaux, rehaussés de couleurs lumineuses et d’une fraîcheur toujours admirable aujourd’hui.
L’enluminure carolingienne, romane, puis gothique, seront concurrencées par le développement de l’imprimerie, qui offrira la possibilité d’illustration avec des bois gravés, mais ceux-ci seront encore longtemps coloriés par des enlumineurs.
D’iris et de safran
L’un des aspects spectaculaire et mystérieux du monde de l’enluminure demeure la fabrication des couleurs. « On essaie de les retrouver en fonction de nos connaissances, explique Marie Gorrindo. On a identifié par exemple certains minéraux utilisés par l’enluminure insulaire, ils n’ont pratiquement pas subi d’altération. Ainsi l’orpiment, pierre qui contient du sulfure d’arsenic et permet d’obtenir du jaune. Il existait également dans l’enluminure des produits de synthèses « historiques » comme le bleu égyptien (calcium et cuivre), vieux de 4 500 ans, le bleu turquoise qui provient de l’oxyde de cuivre, le vert de l’acétate de cuivre. Pline parlait déjà du vermillon de synthèse, mélange de plomb, de mercure et de souffre obtenu en chauffant ces ingrédients. »
On utilisait également des teintes fabriquées à partir de fleurs ou de plantes (ancolie, iris, carthame, garance, gaude, indigo, lichen, tournesol, sureau, etc.), de bois, de condiments comme le safran. D’autres sont obtenus à partir de pierres précieuses comme la malachite ou le lapis-lazuli.
Marie Gorrindo utilise toujours ces produits qu’elle achète pour certains en poudre et qu’elle prépare elle-même. « Les produits réputés dangereux ne le sont plus aujourd’hui car nous les connaissons, explique Marie Gorrindo. Leur dangerosité résidait dans le fait qu’ils étaient respirés. Aujourd’hui, on met un masque et des gants et on prend toutes les précautions. Je fabrique moi-même les teintes et lorsque je les apporte aux stagiaires, elles sont dénuées de nocivité car elles n’ont plus à être inhalées. »
Un art humble et plein d’humanité
Marie Gorrindo est aujourd’hui une professionnelle reconnue dont les réalisations sont admirées des connaisseurs. « Je ne me considère pas comme une artiste, mais comme une artisane d’art. Tout à fait le statut des enlumineurs du Moyen Âge. L’enluminure est un art humble, non ostentatoire, contrairement à ce que peut être souvent la peinture ».
C’est le côté humain de son art qui émeut surtout Marie Gorrindo : il est plein de défauts, on voit la main de l’homme dans le tracé, la mise en couleurs, rien n’est stéréotypé, tout est vérité et sensibilité parce que l’enluminure était dédiée aux gens simples.
Et puis, quelle leçon d’histoire. L’enluminure apprend beaucoup sur la société qu’elle dépeint à travers ses images à la fois naïves et superbement raffinées : les vêtements que l’on porte, les maisons que l’on bâtit, les fleurs que l’on cultive. C’est la vie de tous les jours aux couleurs du paradis…
« Et puis, ajoute Marie Gorrindo, l’enluminure est pour moi une forme de méditation. Quand je peins, je suis rivée à mon pinceau, concentrée sur l’image, je me vide de tout ce qui est inutile. »
Avis aux amateurs de couleurs et de « zenitude », Marie Gorrindo les attend dès le prochain atelier d’enluminure. Consultez le programme, il est en ligne sur le site du Musée ! Et n’oubliez pas que la Bibliothèque municipale de Lyon, dans son « Heure de la découverte », permet aux amateurs, grâce à Pierre Guinard, conservateur au fonds ancien, de découvrir de très près les plus beaux manuscrits ornés de Lyon.