Logo pour impression Matthieu Cortat : un « lettré » au Musée

Matthieu Cortat : un « lettré » au Musée

Si vous vous demandez pourquoi le « c » possède une cédille, le « i » un point et le « e » un accent, si vous brûlez de savoir pourquoi on a inventé les guillemets ou si le O est vraiment rond, courez au Musée de l’imprimerie suivre « Lettre à la loupe », la visite guidée qui va enfin vous rendre le sommeil.
Avec humour et un calme imperceptiblement helvète, Matthieu Cortat vous réconciliera avec toutes les bizarreries de la graphie et de l’imprimerie françaises. Si vous en demandez plus, n’hésitez pas : le Musée de l’imprimerie vous propose un atelier de lettrage pour réaliser un ex-libris ou une carte de visite, sous la houlette de l’un des rares dessinateurs de caractères en France, qui est, mais vous l’aurez sans doute deviné, Matthieu Cortat.


De Lausanne à Nancy

Originaire de Delémont, capitale du Jura suisse, notre guide conférencier graphiste et dessinateur de caractères n’a pas oublié d’emporter dans ses bagages la recette des gâteaux à la cannelle ou encore la girole, sorte de tourniquet qui transforme en fleurs délicates le célèbre fromage tête de moine, mais surtout, plus utile pour les visiteurs du Musée, sa connaissance de la typographie et de l’histoire de la lettre.
Diplômé de l’École d’art de Lausanne, Matthieu Cortat s’est orienté vers le graphisme parce qu’il « rend service à l’auteur comme au lecteur ». Sa dernière année d’étude, il la consacre à un travail de semestre puis à un diplôme sur le caractère Stockmar, du nom d’un fondateur de la Société jurassienne d’émulation. Stockmar est une création à partir d’un caractère dessiné par un autre jurassien, le fondeur de caractère Johan Rudolf Guenath II (1679-1740), dont l’entreprise fut plus tard plus tard rachetée par Haas, fondeur suisse très renommé. « Le caractère Stockmar est destiné aux publications de la Société jurassienne d’émulation, qui édite de nombreux ouvrages sur l’histoire, les traditions populaires, la botanique… explique M. Cortat. Ce caractère a également été le sujet d’un travail lors de mon passage à l’Atelier National de Recherche Typographique de Nancy, où j’ai passé un an. »





De Lausanne à Nancy

Dessiner une police de caractères de labeur demande un an de travail environ. Dans une police, il faut distinguer les caractères de titrage et les caractères de texte ou de labeur. Les premiers doivent être visibles, les seconds devront être lisibles, c’est-à-dire lus sans difficulté et sans fatigue. Mais une fois posés ces principes qui semblent très simples, on ne pourra s’exonérer des réglages minutieux qui accompagnent la création d’une police. Le o n’est jamais parfaitement rond ; il faut gérer les pleins et les déliés ; il est nécessaire de définir le vide entre les lettres, car ce qu’on voit d’abord en lisant un texte c’est le vide et non les lettres. Il conviendra aussi de resserrer le u : « sur une ligne, commente M. Cortat, le u et le n sont la même lettre, l’une étant renversée. Mais le u, ouvert sur le haut, semble plus large, il va donc falloir le resserrer très légèrement. Il faudra ensuite que le n et le o aillent bien ensemble, on s’aperçoit alors que le a n’ira pas forcément avec le n. D’où une multitude de corrections en chaîne… »

Mathieu Cortat a déjà créé six polices de caractères de labeur : Stockmar, Stuart (caractère de titrage), Bonesana, Tristram, Henry, Anacharsis ; le caractère Hermil, inspiré des travaux d’Edward Johnston, créateur des caractères du métro de Londres et utilisé pour l’affiche de l’exposition Art pour tous (ainsi que pour le texte courant du programme d’activités du Musée), est en cours d’achèvement.





De lettre en lettre

Lors de ses visites commentées au Musée, où il intervient depuis trois ans, Matthieu Cortat insiste sur quelques bijoux de la collection permanente. Le petit livre de Giovanni Della Casa (1503-1556) composé en cinq langues et quatre caractères différents, sur quatre colonnes. « Pour l’allemand, c’est le caractère gothique, souligne M. Cortat, pour l’espagnol c’est le romain, l’italien est en italique et le français en caractères de civilité. » Notre spécialiste aime bien également attirer l’attention de ses auditeurs sur les petites tromperies des imprimeurs d’autrefois :
« Pour un ouvrage de Louise Labé, l’imprimeur ne disposait pas de E capitale accentué, l’accent aigu a donc été rajouté à côté de la lettre. Dans certains Édits du roi, on manquait d’accent circonflexe : on a donc utilisé un v couché au-dessus de la lettre. Quant à la Bible polyglotte imprimée par Plantin (v.1420-1589), elle montre de magnifiques caractères grecs, tout en bouclettes et en arrondis avec leurs très nombreuses ligatures, sorte de petits liens entre les lettres. » À la fin de son parcours, le visiteur sera en mesure de distinguer le vrai italique du romain penché et, même si les secrets de la typographie ne sont pas tous élucidés, il ne regardera plus jamais un livre de la même façon.

Réaliser son ex-libris ou sa carte de vœux

Dans le cadre des ateliers programmés cette année, Matthieu Cortat vous propose cette année de partir sur les traces d’Edward Johnston, le créateur des caractères utilisés pour le métro de Londres. Johnston a réalisé ces caractères à partir de sa propre écriture manuscrite et c’est ce que vous serez également invité à faire. L’atelier sera en deux parties : la conception d’un caractère directement inspiré de votre graphie avec Matthieu Cortat et la gravure sur lino avec Éléonore Litim de votre nom (pour un ex-libris) ou d’une phrase, par exemple « meilleurs vœux », qui vous permettra d’envoyer le moment de venus des cartes de vœux personnalisées.
Pour les 9-13 ans, l’exposition Art pour tous évoquant les transports britanniques sera l’occasion de créer un logo, à l’instar du célèbre cercle barré, icône du métro de Londres.
De bien plaisantes occasions de faire encore mieux connaissance avec le monde mystérieux de la lettre…