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John Baldessari : oeuvre de la collection


Du 16 juin au 13 août  2006

C'est en 1987 que John Baldessari entreprend de réaliser l'œuvre la plus monumentale de sa carrière. Composée de 43 photographies, elle est à la fois une exposition personnelle, un projet unique et une installation. Le Magasin à Grenoble (Centre National d'Art Contemporain) dirigé alors par Jacques Guillot et le Musée d'Art Contemporain de Lyon se sont associés dès 1986 pour que ce projet de John Baldessari voit le jour. Il s'agit d'une coproduction : Le Magasin organisait l'exposition et le Musée de Lyon achetait l'œuvre.

En 1968, David Antin organise, en étroite collaboration avec Georges Maciunas, la première exposition Fluxus au Département Art de l’Université de Californie à San Diego où John Baldessari est professeur-assistant. Baldessari y rencontre Dick Higgins, Emmett Williams et Allan Kaprow (1) dont il apprécie l'esprit "Tout est possible". C'est cette année-là qu'il inaugure sa première exposition à Los Angeles à la Holly Barnes Gallery. Il y expose notamment ses tableaux-textes parmi lesquels : "tout est expurgé dans cette peinture, sauf l’art, aucune idée n’intervient dans cette œuvre" (2). Au même moment dans une galerie voisine, the Eugenia Butler Gallery, Joseph Kosuth présente ses premières investigations, une série photographique de définitions du mot "rien" qu’il nomme : "intitulé (art comme idée comme idée)" (3). A cette date Baldessari ignore ce qui se passe sur la côte Est des Etats-Unis. C'est peu après qu'il découvre l'œuvre d'autres artistes, quand Richard Bellamy lui conseille "de rencontrer certains new-yorkais parmi lesquels Dan Graham, Robert Barry, Douglas Huebler, Lawrence Weiner et Joseph Kosuth" (4). Ce dernier décrit alors les œuvres de John Baldessari comme de "distrayantes peintures pop qui… constituent des caricatures conceptuelles du véritable art conceptuel".

En 1969, il réalise California Map Projects Part 1 . Il s’agit de onze photographies aériennes prises après avoir transposé dans le paysage réel les dix lettres du mot "california", placées aux endroits précis où elles se trouvent imprimées sur une carte géographique des Etats-Unis. Sur chaque site, l’artiste construit, peint ou dessine une lettre monumentale en utilisant des pierres, de la peinture ou tout autre matériau trouvé sur place. Exposées dans l’ordre, les dix photos reconstituent le mot "california", une onzième reproduit la carte géographique, tandis que les onze feuilles dactylographiées donnent la localisation des sites.

De 1973 à 1977, il réalise des séries narratives qui sont autant de réponses au cinéma et qui jouent avec les conventions et les codes sous la forme de séquences photographiques (Goodbye the Boats, Movie Story Board, ou encore un film : "œuvre dirigée par le regard des gens" (Directional Piece (Where People are looking) dans lesquelles les photographies sur le mur sont disposées selon l’orientation des regards des personnages. En 1973, John Baldessari réalise Songs qu'il décrit ainsi : "Plan original : utiliser certaines aires géographiques comme environnement pour une pièce musicale. On peut par exemple choisir une vue frontale de l’océan depuis la plage. Une telle vue pourrait être facilement divisée en trois zones : haute, medium, basse (dans le sens musical). Puis on pourrait donner une balle rouge (note musicale) à une personne pour qu’elle la lance dans les airs : haut, bas ou medium. Cette notation aurait l’évidence d’une mélodie secrète créée par cette personne…" L’installation, composée d’un nombre variable de photographies de petites dimensions (de 8,9 x 12,7 cm chacune) disposées sur trois lignes superposées (à la manière d’une portée) est de dimensions variables et s’intitule :

Songs :
1 Sky/Sea/Sand
2 Sky/Iceplant/Grass.

Lorsqu'en 1986, John Baldessari est invité à exposer au Magasin à Grenoble, il se souvient de Songs et imagine "d’orchestrer" l’espace total du centre d’art en transposant mots et musique en schèmes visuels dans une vaste installation qu’il intitule Composition for Violin and Voices (Male). Ayant remarqué que les murs sont divisés en trois segments horizontaux qui dessinent la métaphore d'une portée musicale, il organise une composition spatiale où les notes prennent la forme d'images photographiques en noir et blanc, rouge, vert, violet, bleu ou jaune. (En 1975, dans ses "Pathetic Fallacy Series" (titre emprunté à John Ruskin), il avait qualifié les états émotionnels d’objets inanimés : un "ciel heureux" , une "langue vénale", puis avec "Pêche stoïque" ou "Jaune blessé", il avait introduit la couleur : le rouge signalait le danger, le jaune la folie et le bleu l’idéal platonicien de la perfection). Pour Composition for Violin …, John Baldessari sélectionne une série de photographies : des photogrammes extraits de films, portraits d'acteurs célèbres ou personnages inconnus, dont les faces expriment toute la panoplie des émotions, de la joie à la terreur. Certaines photos sont réhaussées d'un aplat translucide de couleur qui vient contredire ou renforcer la teneur psychologique de l’expression. Les associations des portraits entre eux sont faites de façon intuitive, disposés comme sur une portée en reprenant le principe de "Directional Piece" (Where People are looking) de 1972/73 décrit plus haut.

Composition for Violin and Voices (Male) est la plus grande installation qu’ait jamais réalisée John Baldessari. En 1987, cette pièce de John Baldessari incarne avec quelques autres le projet muséographique en devenir du musée de Lyon : Zero & Non de Joseph Kosuth, produite en 1985 (3) et Des masses de métal… , de Lawrence Weiner (4) toutes deux acquises en 1985, Triangle with Circular Inserts, variation B, (4) coproduite en collaboration avec l'Institut d'Art Contemporain de Villeurbanne et acquise en 1991. L’artiste s’engageait au moment de l'acquisition à conserver la monumentalité de la pièce qu’il réajusta cependant, l’adaptant à l’espace intérieur du Musée de Lyon, qui est conçu - et c'est unique en Europe - pour s'adapter aux œuvres les plus inattendues.

Tout à la fois exposition conservée, œuvre de collection et synthèse métonymique du propos de son créateur, Composition For Violin and Voices (Male) a été exposée au Magasin à Grenoble du 2 mai au 28 juin 1987, puis au Musée d'Art Contemporain de Lyon du 9 juin au 17 septembre 1987, dans une configuration proche où seule l'image du violon (4,54 x 9,92 m) initialement disposée sur une surface courbe a retrouvé sa planéité.

L'œuvre de John Baldessari, Composition for Violin and Voices (Male), 1987 est reproduite dans le catalogue Collection 1987, Musée d'Art Contemporain de Lyon, 1987 et dans le livret La collection : installations - L'exotisme sans partage, Musée d'Art contemporain de Lyon, 2000, disponibles à la boutique du Musée.

 

(1): Les œuvres de George Maciunas, Dick Higgins, Emmett Williams et Allan Kaprow entrent dans la collection en 1995, 1996 et 1998.

(2) : Ces tableaux-textes sur fond monochrome présentaient le plus souvent une phrase ou un commentaire ayant trait à l'art.

(3) : Il s'agit des prémices de ce qui sera connu plus tard sous le terme "d'art conceptuel". Joseph Kosuth est représenté dans la collection par N'importe quelle vitre de …à placer contre n'importe quel mur…, 1966, Zero & Non , 1985, et Cathexis n°4, 1984 entrées dans la collection en 1985.

(4) : Les œuvres de tous ces artistes figurent dans la collection : D. Graham, Triangle with circular Inserts, Variation B, 1991, acquise en 1991, R. Barry, Love To, 1984, acquise en 1984, D. Huebler, Duration Piece #8 (Torino), 1969, Variable Piece #1 (Paris), 1970 et Crocodile Tears II : the great Corrector (Mondrian III), 1989, en 1990, L. Weiner, Des masses de métal…, 1985, et Flour & Water (+) (-) Sugar & Salt, 1991, en 1985 et 1996. Pour J. Kosuth, voir la note précédente.