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16 rue Bourgelat

 
Adresse: 16 rue Bourgelat, 69002 Lyon

Période(s) d'occupation: Antiquité, Moderne

Opération : fouille archéologique préventive

Dates de l'opération : 08 septembre - 22 octobre 2010

Opérateur : Service archéologique de la Ville de Lyon

Aménageur : Institut Saint-Vincent-de-Paul


Un diagnostic archéologique avait précédemment été effectué sur ce site par le SAVL. Consultez ses résultats ici.


La réalisation d’un projet immobilier dans l’enceinte de l’Institut Saint-Vincent-de-Paul (16, rue Bourgelat) a permis la mise en place d’une opération d’archéologie préventive à l’extrémité méridionale de la Presqu’île antique. Située immédiatement au sud de l’abbaye d’Ainay, l’emprise de la fouille concernait un terrain modeste de 390 m² mais dont l’intégralité de la stratigraphie, jusqu’au terrain naturel, a pu observée sur près de 170 m².

Avant toute installation humaine, une terrasse alluvionnaire légèrement inclinée vers le sud est stabilisée. L’analyse en diffractométrie par rayon X de ces limons fins (selon un protocole nouvellement défini) attribue ces dépôts aux matériaux transportés par le Rhône. Ces alluvions reposent sur un plancher de sables graveleux rhodaniens.

Au milieu du Ier siècle apr. J.-C. (phase 1), un mur d’orientation nord-sud vient occuper la partie est du terrain. Spolié plus tardivement, son existence est attestée par une tranchée de récupération clairement visible en stratigraphie. À l’ouest de ce mur, toute l’emprise du site est exhaussée par un apport de remblais versés progressivement depuis le nord-ouest. Ce remblaiement se décline en de nombreuses strates alternant des matériaux de démolition et des rejets domestiques. L’accumulation de ces remblais, dont l’inclinaison montre qu’ils ont été déposés en progressant vers le sud, établit finalement une plate-forme rehaussant le terrain de plus d’un mètre. Cette viabilisation du site, ainsi mis hors d’eau, est complétée par la couche sommitale de la plate-forme. Constituée spécifiquement d’éléments de démolition en adobe rubéfiée, provenant sans doute de la récupération de matériaux incendiés, elle a pu jouer un rôle d’assainissement essentiel dans un milieu humide.

Bien que le quartier ait livré de multiples données archéologiques confirmant l’existence d’une forte densité de domus (dont les mosaïques forment un corpus conséquent), aucune trace d’habitat n’a été relevée sur le site. La plate-forme ne supporte aucune construction et l’espace nouvellement gagné sur le confluent semble être resté ouvert.

Le matériel recueilli dans le remblai est particulièrement abondant (céramique, verre, instrumentum , enduits peints) et contemporain. Un ensemble monétaire significatif (29 monnaies, majoritairement claudiennes), concordant avec le reste du mobilier, permet de proposer avec précision une date pour la formation de la plate-forme. Même si l’ensemble du matériel accumulé peut être daté des années 40-60 apr. J.-C., l’absence de numéraire néronien pose un terminus ante quem en 54-55.

Le mur qui soutenait les remblais à l’est ne semble pas avoir formé une limite infranchissable. Vers l’est s’étend une zone non-exhaussée, demeurée ouverte à de nouveaux dépôts alluvionnaires. Excepté un drain qui protégeait la base du mur, cet espace est resté un temps abandonné au lit du fleuve. Visiblement non fréquenté, ce secteur a accueilli un important dépotoir. Sans doute rejetées depuis la plate-forme, des centaines d’amphores complètes sont venues se briser en contrebas du parement du mur. Sur les quatre mètres de dépotoir conservés dans l’emprise de la fouille, plus de deux cents amphores appartenant très majoritairement à un même type (Gauloise 1 à pâte « sableuse » des ateliers de la région de Bagnols-sur-Cèze) ont été inventoriées. La chronologie de ce dépotoir est en accord avec la période d’occupation de la plate-forme entre 55 et 70 apr. J.-C.

La proximité des cours d’eau, la nature plutôt artisanale ou commerciale des installations et le traitement des amphores (perforations intentionnelles du fond) dans un contexte qui ne paraît pas domestique, invitent à supposer l’existence d’un site en lien direct avec le commerce fluvial.

Toujours dans le deuxième tiers du Ier siècle apr. J.-C., une large tranchée (plus de 3 m de largeur) et peu profonde (0,4 m) est incisée dans la plate-forme. Traversant le site du nord au sud parallèlement au mur, son usage reste méconnu. Aucun élément ne laisse supposer une quelconque circulation d’eau, la spoliation d’un dispositif de stockage ou la possibilité d’un trafic terrestre.

L’occupation attestée sur le site ne déborde pas sur l’époque flavienne et le deuxième siècle n’est représenté que par du mobilier résiduel. Au cours des IIIe et IVe siècles (phase 2), la partie orientale du site est recouverte par des apports alluvionnaires massifs attribués au Rhône. Des fosses, sans organisation compréhensible, piègent du mobilier des IIe et IIIe siècles. C’est à cette époque que le mur est spolié pour dégager un espace cohérent sur l’ensemble de l’emprise de la fouille.

Datées du Ve siècle (phase 3), de nouvelles structures en creux perforent les niveaux du Haut-Empire. L’une d’entre elles a livré un abondant mobilier lapidaire : de nombreux éléments ornementaux (placages, dallages, corniches) taillés dans des marbres colorés importés de Méditerranée orientale ou d’Italie côtoient des blocs de calcaires tendres débités à la scie. Le quartier semble alors être devenu une carrière où l’on démantèle, à l’aube du Moyen Âge, les derniers reliefs de la ville antique.

À une époque pour laquelle le mobilier n’autorise aucune datation postérieure au Ve siècle, une nouvelle phase de remblaiement exhausse à nouveau le site de plus d’un mètre. Les terres accumulées sont caractéristiques d’un terrain très organique fortement bioturbé.

Globalement, aucune structure n’est attribuable à l’époque médiévale et le mobilier de cette période fait totalement défaut. L’environnement semi-rural de l’abbaye a sans doute laissé peu de vestiges, mais surtout, dans l’enceinte de l’œuvre des Messieurs, les niveaux modernes attribués au XVIIIe ou au XIXe siècle occupent la totalité de la stratigraphie jusqu’à une altitude largement inférieure (près de 2 m) au parvis actuel de l’abbaye.

Dans le quart sud-est du site, une maçonnerie massive déjà repérée lors du diagnostic (4 m sous la surface) a pu être examinée plus précisément. Un glacis en béton de 28 m² conservé sur 9 m d’est en ouest disparaît à l’est dans l’enceinte de l’Institut et s’étend au sud sous la rue Franklin. Son extrémité occidentale est conservée en limite sud d’emprise. Quelques décimètres d’un parement limité à trois assises, taillées dans des blocs de calcaire à gryffées, disparaissent en biais sous la rue Franklin. L’ouvrage se développe vers l’est et vers le sud en formant un triangle aux dimensions peu communes. À son expansion planimétrique correspond un développement altimétrique. Intégralement conservé sur sa limite occidentale, l’ouvrage qui présente une épaisseur de 0,8 m s’approfondit sous son niveau d’arase plan pour atteindre plus de 2,1 m (un carottage a été réalisé en limité sud-est du massif.

La construction de la maçonnerie est inhabituelle. Après creusement d’une large tranchée, et élévation du parement en pierres de taille (appareillées avec un fruit de 15°) liées au mortier, l’ensemble de l’excavation a été comblée avec un béton riche en graviers de rivière et petits blocs. Dans le prolongement exact de ce parement, un creusement suivi sur trois mètres de hauteur entaille tous les niveaux antiques.

Remblais modernes (exhaussement de la presqu'île)
© SA Ville de Lyon

L’ensemble de ces vestiges (phase 4), pour lesquels le mobilier est rare ( instrumentum moderne) et redéposé, évoque un dispositif de fortification. Ils sont toutefois incompatibles avec le rempart d’Ainay construit au début du XVIIe siècle. L’ouvrage, dont la maçonnerie était continue, passe assurément quelques mètres au sud de l’emprise de la fouille. En revanche, le premier rempart dont le tracé a pu être restitué, notamment à partir du plan de Philippe Lebeau (1607), pourrait effectivement, au regard de son positionnement et de son orientation, correspondre à l’alignement découvert sur le site. Par ailleurs, aucun autre édifice d’une telle ampleur n’est envisageable au sud de l’Abbaye d’Ainay. Une seule incertitude demeurait, la première fortification (projetée à partir de 1544) était réputée n’être élevée qu’en terre, pieux et fascines. L’analyse des archives (comptes communaux) a démontré l’achat régulier de pierre et de chaux et la participation de maçons aux côtés des charpentiers et des manœuvres. Il est notamment question, parmi les nombreuses interventions d’entretien de l’édifice, d’une restauration du bastion d’Ainay entre 1590 et 1594.

Vraisemblablement vulnérable au régime des cours d’eaux, le bastion d’Ainay était le point le plus méridional de la fortification et le plus proche du chenal qui séparait la Presqu’île de l’île Mogniat. L’existence d’un massif maçonné, de plan triangulaire, placé en tête du bastion à la jonction des deux fronts a pu soutenir l’élévation de terre et assurer une protection contre l’érosion fluviale.

L’impact des travaux réalisés aux XVIIIe et XIXe siècles (phase 5) sur la stratigraphie est dû à l’installation de l’œuvre des Messieurs sur la parcelle à partir de 1777.