Robert Morris : oeuvres conservées dans la collection
Du 24 septembre au 31 décembre 2006
D'abord peintre, Robert Morris s'intéresse à la philosophie, à la psychologie et à l'histoire de l'art, à la danse et au théâtre. Depuis 1957, date de sa première exposition, il crée indistinctement peintures, chorégraphies, sculptures, installations ou films, accumulant les œuvres remarquables indépendamment des mouvements et théories artistiques dominants. En cinquante années de création, Robert Morris a su formuler et approfondir les paramètres de la relation entre le spectateur, l'œuvre et l'espace de son exposition, qui constitue le thème central de ses réflexions.
Robert Morris est né en 1931 à Kansas City dans le Missouri. En 1950, il débute à l'Ecole des Beaux-Arts de San Francisco des études qui seront interrompues par son départ pour la guerre de Corée. De retour aux Etats-Unis, il rencontre Simone Forti au Reed College de Portland où il s'est inscrit comme étudiant. Il s'installe avec elle à San Francisco en 1956. Dans cette ville, il fréquente danseurs et musiciens, pratique le théâtre improvisé, participe aux ateliers de danse d'Anna Halprin, réalise des courts métrages expérimentaux. Il y organise sa première exposition de peintures à la Dilexi Gallery en 1957. En 1960, il entreprend une correspondance sur le théâtre avec John Cage qui, à l'occasion d'une rencontre à New York, lui présente La Monte Young. Intéressé par la situation artistique new-yorkaise qui lui semble plus dynamique, il déménage pour cette ville. Grâce à Cage, il rencontre d'abord Jasper Johns, Frank Stella, Ileana Sonnabend et fait la connaissance d'Yvonne Rainer, George Brecht et Robert Whitman. A la demande de La Monte Young, il écrit un texte pour An Anthology (1), la publication du groupe Fluxus aux activités duquel il participe. Il s'associe surtout aux recherches du "Dance Theater". A partir de 1961, il débute la fabrication d'objets à l'esprit duchampien. C'est également cette année-là qu'il crée Passageway dans le loft de Yoko Ono : "Le public est convié à entrer dans un couloir incurvé, s'étranglant en cul-de-sac, accompagné de l'ambiance sonore du bruit d'une montre et de battements de cœur." (2)
A partir de 1964, il enseigne l'histoire de l'art, et s'éloigne de Fluxus, reprochant à George Maciunas (initiateur de ce mouvement cherchant à lier l'art et la vie) de faire du théâtre "pour susciter les rires". Son activité se répartit entre la danse, le théâtre expérimental et la sculpture. En 1966 sont publiées dans les numéros de février et d'octobre d'Artforum les deux premières parties de ses "Notes on Sculpture" dans lesquelles l'artiste consigne ses réflexions théoriques sur le sujet (une troisième partie paraîtra en 1967, une dernière en 1969). Le Stedelijk van Abbemuseum d'Eindhoven organise sa première exposition dans un musée en 1968.
Invité à exposer chez Leo Castelli, Morris choisit de remplir la galerie avec Untitled (Threadwaste), une œuvre réalisée principalement à partir de déchets de tissus au sujet desquels il précise : " Il s'agit du matériau utilisé pour nettoyer les chaudières industrielles. Je crois que ces déchets proviennent des usines de tricotage, des métiers à tisser. Ce qui m'intéressait était d'utiliser à nouveau un matériau qui avait à voir avec la surface, où la surface et la couleur étaient problématiques. Le fil est de toutes les couleurs, il n'a donc pas de couleur. Certaines pièces contenaient aussi des miroirs. Il est donc très difficile de les voir : ce sont des miroirs à deux faces qui ont tendance à disparaître, mais ils apportent une espèce d'élévation à l'œuvre, qui, par ailleurs, est tout à fait plate au sol ".
Au début de 1977, il réalise des installations à base de miroirs et de poutres en bois au Williams College (Williamstown, Massachusetts) où il est invité en résidence, ainsi qu'au Portland Center of the Visuals Arts et au Museum of Modern Art de Louisiana au Danemark. Il crée notamment Untitled (Williams Mirrors), acquise par le Musée d'Art contemporain de Lyon en 1996 et Portland Mirrors (actuellement montrée accompagnée de Threadwaste). Au sujet du miroir qu'il désigne comme "la plus irréelle des surfaces" et dont une première utilisation remarquée remonte aux Mirrored Cubes exposés à la Green Gallery de New York en 1965, Morris explique : "Dans les premiers temps, j'éprouvais un sentiment d'ambivalence devant cet espace trompeur, cet illusionnisme flagrant. Plus tard, ce même aspect frauduleux me sembla une vertu" (3). A propos de Williams Mirrors : il déclare à Rosalind Krauss : "Williams Mirrors (1977) demande au spectateur ou à la spectatrice de faire l'œuvre. Son image est démultipliée. Contrairement aux Labyrinths, la forme est celle d'un dédale dans lequel le corps erre, se trouvant et se perdant, trouvant et perdant d'autres corps, dans des espaces réfléchis, virtuels. L'horizontalité en tant que perte et le sublime infini, une fois de plus (…)" (4).
En 1993, Robert Morris participe à la deuxième Biennale de Lyon. Un an plus tard le Guggenheim Museum de New York organise une exposition rétrospective que Paris accueille en 1995 au Centre Georges Pompidou.
En 1998, le Musée d'art contemporain de Lyon propose à Robert Morris d'exposer dans un même grand espace pendant trois années consécutives ; ce que l'artiste considère comme un défi. En 2001, à l'issue de la première phase de cette exposition en trois temps, le Musée acquiert Labyrinth : l'installation de 1200 m2 réalisée à l'été 1999. Dans le même temps, Robert Morris généreusement fait don de White Nights, l'installation créée à l'été 2000 et dépose 8 œuvres présentées en 1998 et 1999 parmi lesquelles se trouvent Passageway, 1961, Threadwaste, 1968, et Portland Mirrors, 1977.
Threadwaste est une œuvre faite de déchets provenant de filatures et de manufactures de tissus, ainsi que de tubes de cuivre et de miroirs qui disparaissent dans l'informe du matériau répandu sur le sol. Dans l'œuvre de Morris, l'utilisation du matériau reste toujours liée à la perception et au questionnement philosophique de la relation que nous entretenons avec le réel. Il précise notamment : "Quant à ma sensibilité au matériau : eh bien, il y a certainement quelque chose de tout aussi irréductible dans le monde matériel que dans la subjectivité. Sans doute ne comprenons-nous jamais ni l'un ni l'autre. Un peu de terre peut paraître tout aussi incompréhensible que le fait de se souvenir." (5). Ce faisant, il indique une dimension essentielle de son œuvre qu'il évoque à propos d'autres installations : "Les œuvres avec des grands miroirs jouent sur les questions phénoménologiques liées à la perception qui résonnent entre les espaces virtuels et réels." (6). "Dans […] Portland Mirrors par exemple, des poutres placées au sol activent l'espace virtuel. Ici, on voit l'arrière de son propre corps et les poutres progressent vers un multiplication infinie d'images/espaces virtuels. La masse des poutres réelles sur le sol joue avec l'apesanteur de leur extension visuelle dans les espaces virtuels, reflétés." (7)
An Anthology, 1963, première édition, comprenant des œuvres de George Brecht, Claus Bremer, Earle Brown, Joseph Byrd, John Cage, David Degener, Walter de Maria, Henry Flynt, Yoko Ono, Dick Higgins, Yoshi Ichiyanagi, Terry Jennings, Dennis, Ding Dong, Ray Johnson, Jackson Mac Low, Richard Maxfield,
Robert Morris, Centre Georges Pompidou, Paris, 1995, page 204.
(3)
From Mnemosyne to Clio : The Mirror to the Labyrinth (1998-1999-2000), Un livre/une œuvre, Musée d'Art Contemporain de Lyon, 2000, page 107.
Robert Morris, Centre Georges Pompidou, Paris, 1995, page 271.
(5)
From Mnemosyne to Clio : The Mirror to the Labyrinth (1998-1999-2000), Un livre/une œuvre, Musée d'Art Contemporain de Lyon, 2000, page 38.
(6)
Idem : From Mnemosyne to Clio (…), Musée d'Art Contemporain de Lyon, 2000, page 43.
(7)
Idem : From Mnemosyne to Clio (…), Musée d'Art Contemporain de Lyon, 2000, page 41.
From Mnemosyne to Clio : The Mirror to the Labyrinth (1998-1999-2000), Un livre/une œuvre, Musée d'Art Contemporain de Lyon, 2000 - 275 pages.
Robert Morris, monographie publiée par le Musée national d'art moderne - centre de création industrielle - Centre Georges Pompidou, Paris, 1995 - 352 pages.