La logique de projet
Une équipe pédagogique avait rédigé et pensé un projet « danse » sans a priori sur le(s) type(s) de danse attendu(s). Deux souhaits accompagnaient ce projet :
- côté élèves, leur faire découvrir et vivre une expérience singulière, différente d'une pratique scolaire, et leur faire découvrir ce domaine artistique ;
- côté équipe, appréhender la danse dans sa dimension artistique au-delà d'une pratique scolaire, grâce au travail avec un(e) artiste.
Au final, deux artistes ont été recrutées, une chorégraphe et une sculptrice. L'équipe voit cette arrivée d'un assez bon œil, même si le projet initial était formulé sur « la danse ».
Assez rapidement, les enseignantes se sont trouvées un peu démunies. Elles ont trouvé difficile de comprendre la démarche artistique, de parler du contenu du projet, de la proposition artistique. Des essais d'éclaircissement n'ont, malgré tout, pas permis à l'ensemble de l'équipe et aux artistes de trouver une vraie compréhension des attentes des unes et des autres.Des malentendus, conséquence de cette difficulté à se comprendre, à arriver à se rencontrer dans la proposition artistique, se sont manifestés notamment à travers les deux situations suivantes.
- Des affiches
Cette année-là , une des enseignantes a un projet professionnel : elle veut devenir maîtresse formatrice, ce qui nécessite de passer un examen. Elle met en œuvre avec ses élèves un module d'apprentissage en danse et prévoit un espace danse dans le gymnase pour ses séances, indépendante du projet artistique. Pour cela, elle délimite un espace danse au sol avec du scotch marron, et place sur un mur différentes affiches ayant comme objet « la danse » (affiches de spectacles dans différents lieux, danseurs et danseuses en mouvement…). L'enseignante prépare ainsi simplement son épreuve professionnelle sans aucune arrière-pensée vis-à -vis des artistes et n'en discute pas avec elles, étant certainement à mille lieues de penser que cela puisse poser problème.
Au sujet de ces affiches de spectacles de danse exposées dans le gymnase, la chorégraphe déclare :
« C'est un projet qu'une enseignante a développé avec les enfants. Ça, c'est un espace commun, le gymnase, où il se passe d'autres choses [que ce qu'on fait], donc pour moi, ces affiches-là , elles sont pas forcément en lien direct avec notre projet. Puisque que l'enseignante, elle a développé quelque chose par rapport à la danse, un autre projet en fait : c'est pour ça qu'elle a tracé le carré avec le scotch qu'on voit dans le gymnase, et les affiches. Parce que je crois avec sa classe, elle doit passer quelque chose pour [un examen] / Elle a fait quelque chose autour de la danse, mais c'est pas en lien direct avec notre projet »
L'affichage a en quelque sorte été vécu comme une provocation par les artistes, mais ceci n'a jamais été évoqué et, une fois encore, le manque de communication ou la difficulté à communiquer ont alimenté un malentendu. En outre, cela s'est passé au démarrage du projet : un premier malentendu, donc, auquel s'en ajouteront d'autres comme celui qui suit… (et tous ceux dont on n'a peut-être pas eu connaissance).
- Des « costumes »
La collaboration entre les artistes et l'école n'aura duré qu'une année. Le renouvellement des collaborations peut aller jusqu'à trois ans, mais les « partenaires » décident de ne pas prolonger l'aventure. Un peu plus tard, une des enseignantes, souhaitant rencontrer la plasticienne, lui parla de cet épisode visiblement marqué du sceau de l'incompréhension. Pour comprendre celle-ci, il faut savoir que le travail personnel de l'artiste plasticienne consiste en des « performances » à base de « sculptures vivantes » mettant en jeu son corps enveloppé dans divers textiles.
- L'enseignante : « Le Carnaval, c'est quand même un projet qui revient toutes les années, avec un thème du REP [réseau d'éducation prioritaire], toutes les écoles du REP y sont. Cette année, c'est "Tous artistes", l'année dernière je sais plus ce que c'était, enfin peu importe. Et quand je suis revenue [de congé maladie], et que j'ai vu que finalement c'était le travail du projet artistique qui servait au défilé de Carnaval, je me suis dit "mais… comment est-ce que… (...…) ?
- L'artiste : « Tu pouvais rien dire. J'ai dit plein de fois : "Non, c'est pas des costumes, non c'est pas des costumes, non". Mais à la fois je pense qu'avec [l'autre artiste], on n'a jamais fait la démonstration que ce n'était pas un costume aussi. (…...) Y avait eu une réunion où on s'est pris tout dans les jambes, on s'est fait casser complètement. (…...) La gestion du temps, elle n'a jamais été pensée aussi par rapport au projet. Elle a toujours été placée dans l'année. Or, dans l'année, vous êtes sur un calendrier qui n'a rien à voir avec le projet ».
Ce type d'incompréhension mérite d'être « mis sur la table » avant de démarrer un projet artistique. En effet, l'école maternelle a un programme d'apprentissages et lie ces derniers, selon les moments de l'année, à des événements du calendrier qui reviennent chaque année : Noël, Carnaval, Fête des mères, Fête des pères, Fêtes de fin d'année… De plus, cette école est située en RRS (réseau réussite scolaire) qui propose chaque année un projet transversal aux écoles, et, notamment, un moment fort autour du Carnaval. Chaque école prépare le défilé en lien avec le projet du RRS.
Le Carnaval nécessite un investissement important pour la préparation des costumes. Les ATSEM sont très impliquées dans ce temps fort de l'année et, tout comme les enseignantes, ressentent souvent des moments de pression pour que tout soit prêt à temps.
Alors, faut-il simplifier la confection des costumes lorsqu'il y a un projet artistique ? Ou dissocier les événements et prévoir un calendrier du projet artistique allégé durant le mois de mars ? Ou imaginer une fusion des deux activités pour participer de façon différente au défilé ? Autant de formules négociées qui n'ont pu voir le jour dans cette école.
Malentendus