Yona Friedman : une production récente
Du 16 février au 29 avril 2007
Architecte et artiste, Yona Friedman se singularise par sa mise en doute radicale du rôle de l'architecte : celui-ci doit selon lui assumer un rôle de consultant plutôt que de décideur. Cette conviction lui fait préférer la prospective et l'enseignement à la construction. Yona Friedman débute sa carrière dans le contexte particulier de la naissance de l'Etat d'Israël qui est alors un vaste champ d'expérimentation sociale. C'est à Haïfa qu'il forge à partir de ses premières expériences les partis pris de son œuvre. Ses théories élaborées au cours d'une cinquantaine d'années ont marqué l'architecture de la deuxième moitié du XXe siècle, au moment où la question de l'urbanisme devient prépondérante. L' architecture mobile, la ville spatiale, la ville continent et l' autoplanification sont quelques-uns des concepts qu'il invente.
Conformément à son habitude qui consiste à travailler en étroite relation avec les artistes, le Musée d'art contemporain a invité Yona Friedman à créer une œuvre inédite spécialement conçue pour le lieu. L'œuvre présentée est à la fois une installation et une maquette 1:1. Sa conception s'appuie sur les connaissances acquises par l'architecte sur les structures : une constante de son œuvre. Cette "Etude d'espaces", que le Musée souhaite intégrer à ses collections, est improvisée selon le principe de l'autoplanification, afin comme le dit Yona Friedman de "faciliter l'imprévisible".
Yona Friedman, suit d'abord des études à l'Université technologique de Budapest. Il les prolonge de 1945 à 1948 au Technion d'Haïfa, l'institut de technologie créé en 1924 pour former l'élite du futur Etat d'Israël. Yona Friedman y conduit divers projets de construction d'habitations pour lesquels il se dessaisit du pouvoir de décider pour le confier aux utilisateurs, ce qu'il désigne par le terme autoplanification . Il s'agit d'un axe central de sa démarche.
En 1956, il participe au Xe CIAM (Congrès International d'Architecture Moderne) qui se tient à Dubrovnik. Influencé par la doctrine du modernisme dont il est l'expression corporative, le CIAM défend l'idée d'une architecture industrielle, très souvent sérielle, rationnelle, dont les réalisations sont indifférentes aux contextes économiques, sociaux et environnementaux. Grâce à cette pensée fonctionnaliste, les architectes modernistes répondent toutefois aux besoins immenses de construction à l'issue de la seconde guerre mondiale. Dès les années 50, les conséquences désastreuses des reconstructions intensives apparaissent et la question des déplacements urbains devient déterminante. En France, on parle de "sarcellite".
Le CIAM de 1956 choisit la "mobilité" comme thème central. Alors que celle-ci est entendue comme le projet d'une architecture nomade (à la façon du mobile home ) par la plupart des participants, certains, parmi lesquels Yona Friedman, souhaitent en explorer les dimensions sociales. Le concept d' architecture mobile qu'il propose concilie production de masse et habitat personnalisé par la fabrication industrielle d'éléments ordonnables à volonté par l'habitant lui-même. La mobilité interne de l'habitation et la liberté laissée aux initiatives individuelles conduisent Yona Friedman à rechercher les composants minimums de l'habitat : ce sont pour lui le lien sol-plafond et la circulation d'énergies et de fluides. Appliqué à l'échelle de la ville, la notion d' architecture mobile engendre bientôt celui de ville spatiale . Il s'agit de permettre aux citoyens d'organiser la ville librement, de fabriquer des habitations dont la modification, le déplacement ou la destruction n'entraînent que des coûts modestes en raison de la mobilité et de leur possible réutilisation. La ville spatiale est une solution élaborée sur le principe des structures tridimensionnelles que Konrad Wachsmann (1) applique notamment à la préfabrication industrielle des maisons en bois. La ville spatiale dont la structure est calquée sur les réseaux techniques (énergies, fluides, circulations), est surélevée de 35 mètres de la surface du sol par un système de pylônes. Elle s'étage à partir de là en couches successives. Peu de contraintes s'y appliquent : l'habitant déplace librement son habitat dans le cadre de la trame ainsi mise en place. En raison de son système d'enjambée, la ville spatiale est superposable à n'importe quelle autre ville. Sa faible surface au sol n'entraîne que peu d'incidence sur l'environnement.
La ville spatiale a eu une importance considérable et nombre de projets contemporains portent encore la marque de cette influence suscitée par les images visionnaires de Friedman, dessins,schémas et maquettes. A partir de l' architecture mobile et de la ville spatiale , la pensée de Friedman couvre des champs de préoccupation très vastes. Ainsi au cours des années 70 ses propositions africaines visent à associer des modes de construction autochtones et des structures modernes pour résoudre les problèmes d'habitat dans les pays en voie de développement.
Quelques années plus tard, sa réflexion sur la ville continent donne un nouveau développement à la ville spatiale . Friedman constate que les grands centres urbanisés présentent une permanence topographique et géographique à travers le temps ; que le développement des villes progresse le long des principales voies de circulation ; et enfin, que le progrès technique rend négligeables les temps de circulation entre les villes. La conurbation qui en résulte à brève échéance est ce que Friedman nomme ville continent . Il en fait une solution d'avenir. La ville continent satisfait aux besoins sociaux actuels (consommation, loisirs, proximités). Elle dégage de vastes territoires qui peuvent être consacrés à l'agriculture ou rester inexploités.
Si la pensée de Yona Friedman prend parfois l'allure de projections utopistes, l'architecte s'est toujours attaché à vérifier la faisabilité technique, financière et sociale de ses propositions. En France, le lycée Bergson d'Angers construit en 1979 est un exemple d' autoplanification aboutie. Cette volonté d'une architecture maîtrisée par l'utilisateur et son engagement dans la transmission de ses savoirs conduisent Yona Friedman à mettre en œuvre un mode d'enseignement original. L'architecte-artiste a traduit l'essentiel de sa réflexion et des connaissances accumulées sous la forme de bandes dessinées qui sont de véritables manuels d'architecture. Si cette production, au-delà de sa dimension prospective, présente un caractère artistique indéniable, c'est probablement dû à la proximité de Friedman avec le monde de l'art. Sans doute le Merzbau de Kurt Schwitters (2) a-t-il marqué l'architecte qui en fait un parangon d'architecture autoplanifiée et adaptée aux besoins sociaux et émotionnels de ses habitants.
Réaliser une maquette à l'échelle 1:1 revient à construire l'objet architectural lui-même. C'est ce que le musée de Lyon a demandé à Yona Fridman. L'objet construit dans la salle du troisième étage prend la valeur d'une installation qui occupe 500 m2. Elle repose sur une des constantes de l'œuvre : les différentes possibilités offertes par les structures réticulaires. Elle en décline quelques aspects et montre la faisabilité à coût modeste d'architectures complexes. Au côté des grandes installations de la collection, l'œuvre de Daniel Buren, les wall drawings de Sol LeWitt, le site specific de Robert Irwin ou le Labyrinth de Robert Morris, l'œuvre de Yona Friedman présente quelque connivence avec le Poïpoïdrome à Espace Temps Réel - Prototype 00 de Robert Filliou et Joachim Pfeufer. La première tente d'intégrer dans un schéma ouvert la mobilité historique et sociale, la seconde fonde son projet sur la relation sociale qu'elle essaie de faciliter. Elles ont en commun d'être autant des projets poétiques que des utopies réalisables. Elles partagent un état d'esprit qu'on ose qualifier d'anti-architecture comme il a pu être question en d'autres temps d'anti-psychiatrie.
(1) Konrad Wachsman (1901-1980) développe en 1925 un système de préfabrication de maisons familiales en bois dont un exemple connu est la maison d'Albert Einstein près de Postdam.
(2) Débuté en 1919 dans l'atelier puis l'appartement de l'artiste à Hanovre, et détruit plusieurs fois, le Merzbau est une architecture faite de toutes sortes de matériaux : morceaux de bois, papiers divers (journaux, étiquettes), métaux (pièces de monnaie, gonds...), objets les plus variés collés et peints.