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Entretien avec Bruno Amsellem

"Voyages pendulaires, Des Roms au coeur de l'Europe" ; point de vue du photographe



photo d'une femme rom en taxi de bruno amsellem  photo d'une femme romsde bruno amsellem
© Photos Bruno Amsellem/Signatures


  • Comment dĂ©finiriez-vous votre approche de la photographie ?

Ce qui m'intéresse dans la photographie, c'est le photoreportage et les deux axes de traitement qu'il propose. Celui de l'actualité chaude et de la commande, l'image du jour faite pour la presse du lendemain, et celui du reportage à long terme qui autorise le développement d'un sujet personnel, qui permet de raconter une histoire. Dans ma pratique photographique, 80% de mon travail est consacré à la production d'images chargées de chasser l'actualité précédente avant de disparaître à leur tour.
Voyages pendulaires
est mon troisième reportage à long terme, après un travail en Palestine et un second en Afrique consacré à la maladie du noma.
Dans les deux cas, ce que je voulais, c'était montrer le quotidien des gens, ce qu'ils vivent, rendre compte aussi de la joie de vivre incroyable de ces enfants atteints du noma, considérés comme des êtres à part, cachés par leur famille, quand le traitement qui leur fait défaut permettrait de les soigner en quinze jours. C'était un sujet visuellement très dur, que j'ai choisi de traiter en noir et blanc, seul le magasine Photo l'a publié dans le numéro spécial consacré au festival Visa pour l'image, qui en organisait la projection. Je l'ai fait pour raconter cette maladie, dire qu'elle existe et qu'elle est chaque année responsable de la mort de 100 000 enfants, parce que j'en ai assez de ces sujets qu'on n'aborde jamais.

  • Par quel biais vous ĂŞtes-vous intĂ©ressĂ© au sort des populations roms ?
Je traînais depuis 2001 mes basques dans les bidonvilles et squats de la région lyonnaise au gré des besoins de l'actualité. La presse s'intéressait alors au phénomène de leur arrivée en France et celui, très visible, de la floraison de nombreux bidonvilles. C'était tout simplement inimaginable, on découvrait aux portes des villes les mêmes conditions de vie que celles des favelas des pays sous-développés.En 2007, je me suis retrouvé à couvrir pour le journal Le Monde une expulsion au petit matin d'un bidonville de Vénissieux. À la fin de mon reportage, on voyait les familles partir en bus, l'expulsion étant organisée en fonction d'un départ immédiat en Roumanie. Je me suis alors demandé ce qu'ils allaient devenir une fois là-bas et ce qui les pousserait, probablement, à revenir en France. J'ai appelé le journal pour leur proposer ce sujet aux côtés de la journaliste Sophie Landrin et tout de suite on m'a dit : « Oui, tu as raison, il faut aller voir ce qui se passe là-bas, aller à la source pour comprendre ce qui les amène en France ». Je suis donc parti à Tinca, dans le Bihor, au nord-ouest de la Roumanie, à proximité de la frontière hongroise. Et là, je suis arrivé à nouveau dans un bidonville.
  • Qu'avez-vous dĂ©couvert sur les conditions de vie des Roms en Roumanie ?
J'étais parti avec un certain nombre de préjugés en tête - quelles que soient nos intentions, nous en nourrissons tous à leur endroit -, je m'attendais bien sûr à la pauvreté mais pas à une situation aussi difficile. Je me suis très vite aperçu qu'ils n'étaient pas en capacité de manger tous les jours, qu'ils étaient rejetés par la population roumaine, qu'il n'était pas toujours possible d'envisager la scolarisation des enfants. Au bout de quelque temps, les familles ont été conduites à Oradea, grande ville distante d'une cinquantaine de kilomètres. Là, l'Anaem en charge de leur retour, leur a distribué 150 euros par adulte, la moitié par enfant, assortie d'une aide au projet qui, par sa nature même - l'élevage de moutons -, ne pouvait correspondre au plus grand nombre. Nous nous sommes dit alors avec Sophie Landrin qu'il y avait une histoire plus approfondie à raconter sur ces gens, raconter les connexions avec la France, les allers-retours, le rejet permanent dont ils font l'objet d'un côté comme de l'autre. Il nous est donc venu l'idée de prendre contact avec des familles, dont l'itinéraire nous servirait de fil conducteur pour décrire le pourquoi du voyage entre les deux pays.
  • Le coeur de votre reportage est donc le rĂ©cit des voyages pendulaires des Roms entre la Roumanie et la France ?
Non, pas des Roms en général. Je ne peux parler du parcours et du quotidien que de ces seules familles qui ont accepté que je les suive. Il est très important pour moi de ne pas utiliser ce reportage pour en tirer des généralités. Je raconte ici des itinéraires particuliers, eux-mêmes survenus à des moments précis d'une histoire familiale qui sera, peut-être, tout autre dans les années qui viennent. C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Tarzan Covaci et de sa famille, depuis Lyon tout d'abord où il vivait avec sa femme enceinte et sa petite fille dans une maison abandonnée du côté de Jonage. Je lui ai simplement dit que j'avais envie de comprendre comment il vivait, raconter son histoire, non pas pour les stigmatiser ni par curiosité, mais pour rendre compte de ce qu'ils vivaient, faire un « état des lieux » de leur situation. Il m'a très vite accepté et quand je lui ai dit que je comptais l'accompagner en Roumanie les portes se sont ouvertes en grand. Nous sommes partis en avril 2009, j'ai suivi ensuite son retour, appris son nouveau départ, sous la menace d'une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), enfin son retour puis son départ pour Paris dans un nouveau bidonville...
  • Continuerez-vous ce reportage au-delĂ  de l'exposition du Centre d'Histoire ?
Il y a tellement de situations différentes, de lieux, d'histoires, de cultures personnelles et familiales qu'on peut dire de ce sujet qu'il est inépuisable. J'ai envie de continuer bien sûr, mais je sais aussi que je sors psychologiquement épuisé par ce reportage, révolté par le rejet, le racisme constants dont les Roms sont l'objet, dépité aussi parce que je ne vois pas comment leur situation peut s'améliorer.


Retour à l'exposition.

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