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Un exil intérieur


« Les raisons de l'exil sont toutes différentes sans doute. Mais elles sont surtout propres à chacun, à chaque parcours singulier, à chaque expérience humaine », entendait-on résonner dans l'exposition Tchétchènes hors sol, que Maryvonne Arnaud présentait en 2009 au Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation.
Racontant les périples et les points de chute de quelques familles roms entre la Roumanie et la France, le reportage photographique de Bruno Amsellem donne à voir un exil différent, à la fois permanent et intérieur. Car les hommes et les femmes que nous découvrons ici sont des citoyens européens à part entière qu'une misère immuable jette sur les routes d'Europe.
Partir chercher là-bas le peu d'argent qui nous permettra d'exister socialement ici, telle est l'implacable logique et destin de ces familles, invariablement perçues comme des étrangers tout à la fois suspects et fascinants, où qu'elles se trouvent.

Dénoncer le rejet, non pas dans ses mécanismes mais dans les effets qu'il produit sur la vie des gens, est une donnée fondamentale du travail de Bruno Amsellem, déjà auteur d'un reportage en Afrique sur des enfants cachés parce que malades du Noma.
Universellement asséné, administrativement organisé, le rejet est ce que partagent, en des lieux et des temporalités différentes, les migrants du monde entier. Nombreux sont les documentaires à s'être récemment penchés sur le thème de la migration.
Chacun tente, autour de situations extrêmement diverses, de rendre compte de ces départs quotidiens, souvent définitifs, à la recherche d'une vie meilleure. Privilégiant l'image fixe, le photographe Olivier Jobard a travaillé en 2004 sur les migrants extra-européens, suivant dans Kingsley, carnet de route d'un immigrant clandestin l'épopée d'un jeune camerounais. Il traversait à ses côtés le Nigeria, le désert du Sahara, l'Algérie et le Maroc avant d'embarquer sur une barque de fortune à destination des Canaries.

La migration dont nous parle Bruno Amsellem est une migration économique, et de fait intra-européenne, mais son approche est bien la même que celle d'Olivier Jobard. Ressentant le besoin de comprendre les mobiles de certaines familles Roms de Roumanie - ce qui les pousse à venir en France et à accepter des conditions de vie extrêmement précaires -, de donner à voir leurs difficultés mais aussi leur espoir, Bruno Amsellem et la journaliste Sophie Landrin sont partis avec elles « à la source », leur pays. Ils ont subi les départs contraints ou volontaires, l'attente, le voyage parfois reporté, souvent chaotique, vers un au-delà incertain qui conduit ces personnes de squats en bidonvilles.

Quand Sebastiao Salgado dans son projet Migrations : Humanity in transition ne mentionne pas le nom de ceux qu'il photographie pour offrir une image universelle de la détresse, Bruno Amsellem s'attache à des personnages et revendique leur singularité. Pour ces migrants étrangers de l'intérieur que sont les Roms et les Tsiganes, la globalisation a toujours eu l'effet pernicieux, rappelle Henriette Asséo, de masquer la diversité des conditions, des destins individuels et familiaux, contribuant de ce fait à les rassembler comme « indésirables ». Voyages pendulaires ne rend pas compte de ce que vivent les Roms en général, mais de ce que vivent les deux familles que le photographe a suivi en un moment précis de leur histoire.

Les images du quotidien deviennent soudain troublantes quand les gâteaux préparés en Roumanie dans la perspective du voyage évoquent les gestes de nos propres départs en vacances. Mettre de côté notre compassion pour entamer une réflexion sur l'idée que nos privilèges sont le pendant de leurs difficultés, « tout comme la richesse de certains implique le dénuement des autres, est une tâche à laquelle les images douloureuses, émouvantes, ne font que donner l'impulsion initiale » signale Susan Sontag.

Les photographies de Bruno Amsellem, portées par le récit de Sophie Landrin, nous amènent ainsi à comprendre la nature, profondément inégalitaire, du monde dans lequel nous vivons.


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